27 avr. 2020

Les coulisses de Skies of Arcadia

La vie est parfois étonnamment faite. Depuis hier, les visiteurs de Jeuxvideo.com peuvent découvrir mon dossier sur les coulisses de Skies of Arcadia, le célèbre jeu de rôle de la Dreamcast (adapté ensuite sur Gamecube). Pour les besoins de cet article, j'ai contacté l'un des développeurs, Kenji Hiruta, qui s'est ensuite chargé de faire appel à Rieko Kodama et Shuntaro Tanaka afin que ces derniers - qui sont les chefs d'orchestre du jeu - complètent les réponses. C'est ce qui a permis de donner un dossier assez riche en anecdotes. 

Là où ma surprise fut totale, c'est que l'article a eu des retombées auxquelles je ne m'attendais pas. En effet, Kenji Hiruta, ravi par le travail réalisé, l'a épinglé sur son Twitter personnel et va le faire remonter jusqu'à SEGA Japon pour que l'entreprise prenne conscience de l'aura de la licence auprès des joueurs occidentaux. Depuis plusieurs mois maintenant, Kenji Hiruta souhaite réaliser un remake et/ou une suite et essaye de faire bouger les choses. Dès qu'il a vu l'article, il s'est empressé de contacter l'éditeur du manga de Skies of Arcadia pour envisager une publication en anglais. Ensuite, il espère que toutes ces petites choses pourront faire changer d'avis SEGA. 

L'espoir fait vivre mais il faut avouer que ce n'est pas désagréable. 

L'article est à retrouver en cliquant sur l'image : 




19 avr. 2020

L'Histoire de SEGA (suite)




CHAPITRE 4
HAYAO NAKAYAMA

Années 1979 - 1983


Né le 21 mai 1932, Hayao Nakayama est diplômé de l’Université de technologie de Chiba. Élevé dans un cadre strict, il est poussé par son père à se lancer dans des études de médecine mais n’y éprouve aucun intérêt. Passionné par le business et le secteur des affaires, il développe un goût prononcé pour la langue anglais et devient bilingue, n’hésitant pas à effectuer plusieurs séjours aux États-Unis. En 1959, à l’âge de 27 ans, il est embauché par l’entreprise V&V Vending, une entité spécialisée dans l’importation de juke-boxes et concurrente de SEGA. 

« C’est un peu une coïncidence si je suis entré dans cette industrie », tient à rappeler Hayao Nakayama. « Je n’étais pas particulièrement bon en anglais à l’époque mais je voulais quand même travailler dans le négoce international. J’ai été embauché après avoir répondu à une annonce. Une société d’importation de juke-boxes, tenue par un étranger, recherchait une personne. J’ai été recruté et j’ai sillonné le pays en tant que manager des ventes. [1]» 



Très vite, l’homme – qui noue des relations étroites avec l’occident dans le cadre de son emploi – développe un sens aigu des négociations. Malgré son jeune âge, il gagne le respect de ses pairs et fait prospérer V&V avant de fonder sa société en 1968 : Esco Trading. Il explique :

« Une dizaine d’année après mon embauche, j’étais de plus en plus en désaccord avec le responsable de l’entreprise et j’ai décidé de prendre mon indépendance. » 

Il devient distributeur et réparateur de juke-boxes et autres machines à sous et s’attire les faveurs des grandes entreprises du secteur, à commencer par SEGA. Comme toute firme, SEGA s’entoure de partenaires et Hayao Nakayama devient l’un des plus fidèles associés de David Rosen.  Le Japonais et l’Américain s’entendent à merveille sur le plan professionnel et deviennent, au fil du temps, des amis.  Cette relation de confiance pousse Rosen à prendre une décision importante à la fin des années 1970. 


Le dirigeant de SEGA se souvient : 

« En ce qui concerne Hayao Nakayama, c’est un très bon ami que j’ai intégré à l’entreprise à la fin des années 1970. Il avait une société qui s’appelait Esco Trading, qui était principalement spécialisée dans la distribution. C’était un distributeur. Il était assez connu aux États-Unis en raison de son « agressivité » sur le plan commercial et sa bonne connaissance de l’anglais. J’ai acquis son entreprise pour obtenir son management. [2]» 


En 1978, afin de suivre l’évolution des micro-processeurs (appelés à remplacer les jeux sur circuits logiques), SEGA achète Gremlin Industries, un fabricant de jeux d’arcade fondé en 1971 et basé à San Diego. Dans la foulée de cette acquisition, le duo SEGA/Gremlin (aussi orthographié en Gremlin/SEGA selon les jeux) créé la borne Head On, préfigurant les jeux « eat the dots » à la Pac-Man, qui rencontre un grand succès. Une année plus tard, en 1979, SEGA s’empare de Esco Trading afin que Rosen et Nakayama soient étroitement liés. Rosen est fasciné par l’énergie que dégage Nakayama et croit en la vision de son compagnon. Depuis toujours, le Japonais est un féru de technologies et se passionne pour les innovations liées à l’imagerie, au son, aux micro-processeurs, etc. David Rosen le sait et n’hésite pas à promouvoir Nakayama au rang de Vice-Président de SEGA. À l’aube des années 1980, l’entreprise japonaise – dont les fondations approchent les trente années – continue son expansion en devenant un acteur incontournable de l’industrie. Elle emploie alors plus de 1 000 personnes et fait partie du top 5 des fabricants de jeux d’arcade aux États-Unis.





[1] Interview Hayao Nakayama, https://business.nikkeibp.co.jp/article/person/20090325/190030/,
26 mars 2009

[2] Interview de David Rosen, Steven L. Kent, Entertainment Empire of the Rising Sun : A conversation with SEGA Founder David Rosen, 2001

14 avr. 2020

L'Histoire de SEGA (suite)




CHAPITRE 3
PING PONG



Années 1969 - 1978




Rasta Rockett


Dans l’interview accordée à Steven L. Kent, David Rosen n’y va pas par quatre chemins pour définir l’un de ses échecs : 

« Le jeu qui a fait déborder l’eau du vase, c’est un truc que nous avions construit je crois… C’était vers la fin des années 60, peut-être 1969 (Nda : 1970), un jeu appelé Jet Rocket. Dans cette borne, nous avons introduit un grand nombre de nouveaux éléments : différents types de sons, de multiples effets spéciaux, etc. Nous avons conçu des prototypes afin de les présenter à certaines personnes (les bornes devaient être testées avant d’être commercialisées) et c’est évident que la borne allait être plus chère que d’habitude. À notre insu, alors même que nous avions eu quelques signaux d’un de nos fabricants, les trois manufactures principales de Chicago ont laissé tomber le jeu. Dès lors, à cause de cet évènement, nous avons estimé que nous n’avions plus besoin du marché d’exportation. Nous avons alors cessé l’exportation pendant quelques années. [1]» 

Durant l’année 1970, SEGA est prolifique et sort pas moins de cinq nouveaux produits, parmi Jumbo, Night Rider, Soccer, Stunt Car et bien sûr Jet Rocket. Ce dernier, qui est un simulateur de vol, est doté d’un affichage complexe. Empruntant ses éléments à Duck Hunt, Grand Prix ou encore Missile (qui est le premier à exploiter un joystick muni d’un bouton de tir), il avait tout pour réussir mais les trois principaux fabricants de Chicago ont profité des phases d’essai du jeu pour s’emparer du concept. Les clones ont submergé le marché et la borne n’a jamais pu exprimer son potentiel qui devait être le sien. Une nouvelle fois, la firme devait trouver une façon de se relever pour repartir de plus belle.

[1] Interview de David Rosen, Steven L. Kent, Entertainment Empire of the Rising Sun : A conversation with SEGA Founder David Rosen, 2001


Gulf & Western

Cliquez sur l'image pour découvrir le pdf.
À cette période, c’est-à-dire entre la fin des années 1960 et le début des années 1970, SEGA n’est pas dans une forme olympique. La concurrence fait rage et l’entreprise subit les retombées négatives de la commercialisation de Jet Rocket. David Rosen cherche alors une solution. 

« Nous avons estimé pour nous qu’il était temps de passer dans le domaine public au Japon. », remarque-t-il. « Bien que j’aie passé beaucoup de temps à négocier avec une société de sécurité, il y avait de nombreux paramètres qui rentraient en compte. C’était une première, pour une entreprise étrangère, de passer dans le domaine public après la Seconde Guerre Mondiale. Par conséquent, il y avait trop d’obstacles. Nous avons alors décidé que nous devions faire quelque chose pour sortir l’entreprise du Japon et nous avons sondé les entreprises américaines que nous pouvions acheter, les entreprises publiques – ou privées que nous pourrions rendre publiques – et peut-être fusionner avec ces différentes firmes.[2]» 

Afin de ne pas se lancer à l’aveugle dans une affaire douteuse, Rosen mandate un cabinet d’expertises (une entreprise américaine spécialisée en valeurs immobilières appelée Kidder Peabody).  Pendant plusieurs semaines, Rosen et son équipe attendent patiemment le retour de ce cabinet new-yorkais. Des analyses financières sont effectuées pour définir le chemin le moins cahoteux à emprunter. Alors que l’attente se fait longue, l’étude revient enfin sur le bureau de Rosen et le verdict est sans appel. 

« Vous savez, plutôt que d’acheter une entreprise, faites-vous racheter. Voilà ce qu’ils nous ont dit. » explique Rosen. « On nous a fait remarquer que SEGA était à même d’intéresser de grands groupes américains. Dès lors, nous avons changé de position et nous avons exploré cette piste. [3]»

Comprenant que l’entreprise fait fausse route, David Rosen contacte l’un de ses partenaires et lui demande de faire le tour des sociétés susceptibles de de racheter SEGA. À cette époque, les conglomérats sont en pleine expansion et c’est justement l’un de ces conglomérats, et pas n’importe lequel, qui va décider d’absorber la firme japonaise. 

Le PDG de SEGA détaille : « L’un de ces groupes se nommait Gulf & Western Industries et il était l’un des pionniers en matière de conglomérat. Ils nous ont montré un vrai intérêt et nous avons signé un accord en juin 1969. Nous avons alors vendu SEGA Enterprises, Ltd à Gulf & Western Industries. SEGA Enterprises, Ltd est devenue une filiale et une propriété de Gulf & Western. »

Charles Bludhorn (au centre), sa femme (à gauche) et Francis Ford Coppola
(à droite) sur le tournage de The Godfather (le Parrain).
Durant les négociations, David Rosen s’est assuré que ce rachat ne bouleverserait pas les plans de son entreprise. Tout en restant Président de SEGA Enterprises, il est aussi parvenu à conserver l’intégralité de son effectif qui dépassait les 700 personnes. L’achat de SEGA par Gulf & Western (aussi orthographié Gulf + Western) est une étape considérable dans l’Histoire du constructeur mais aussi plus généralement du jeu vidéo. Durant les années 70, les conglomérats détenteurs de majeurs hollywoodiennes se sont intéressés aux entreprises de divertissement. En 1969, lorsque Gulf & Western s’empare de SEGA, le groupe de Charles Bluhdorn est propriétaire de la Paramount Pictures et possède diverses sociétés d’habillement et de fournisseurs dans l’industrie automobile. Cette vague de rachats entraînera un phénomène durant cette décennie (Warner Communication qui rachète Atari, Columbia Pictures qui gobe Williams…).

Le deal définitif entre SEGA et Gulf & Western est signé en 1970 pour la somme de dix millions de dollars. Au même moment, 80% du stock de SEGA est vendu au conglomérat de Bluhdorn. Dans son livre, The Sega Arcade Revolution : A History of 62 Games”, Ken Horowitz nous apprend que les termes du contrat stipulent que David Rosen demeure le Président de SEGA et lui offre la possibilité de choisir la situation géographique de la maison-mère. Dans un premier temps, comme un clin d’œil, l’intéressé choisit Hawaii mais finit par déménager à Hong Kong où, sur place, il développe une relation de confiance avec Charles Bluhdorn et son bras-droit Jim Judelson. Désormais, avec un socle aussi solide que Gulf & Western, SEGA peut compter sur une force de frappe quasiment illimitée. L’année 1972, en plus d’être celle du décès d’Irving Bromberg (atteint de la maladie de Parkinson), marque le retrait définitif de Martin Bromley et Dick Stewart (qui ont, chacun, vendu leurs parts, Ray Lemaire conservant 20%)[4]



Les deux hommes ne resteront toutefois pas en retraite bien longtemps. Au bout de six mois, alors que l’inactivité commence à peser sur leur moral, Bromley et Stewart réfléchissent à une façon pour revenir dans le circuit. Cette renaissance va alors prendre la forme de Segasa, ou Sega S.A.

[2] Interview de David Rosen, Steven L. Kent, Entertainment Empire of the Rising Sun : A conversation with SEGA Founder David Rosen, 2001

[3] Interview de David Rosen, Steven L. Kent, Entertainment Empire of the Rising Sun : A conversation with SEGA Founder David Rosen, 2001

[4] Ken Horowitz, The SEGA Arcade Revolution : A History in 62 Games

Segasa

Située en Espagne, précisément dans la région de Madrid, Segasa avait pour objectif de créer des machines de divertissement (bornes, flippers, billards…) à destination du marché local. L’histoire de cette entité reste mystérieuse et nombreux sont les observateurs à tenter de comprendre comment cette entité a pu se développer sous l’Espagne franquiste. Le régime de l’ancien dictateur interdisait en effet les jeux de hasard. Les jeux des games corners étant considérés comme tel, Segasa demeure énigmatique par bien des aspects. On raconte ainsi que les marchandises étaient importées du Japon pour ensuite être rénovées avec des pièces et autres matériaux européens. Segasa a également créé ses propres bornes (on en dénombre une petite dizaine) auxquelles il faut ajouter un grand nombre de flippers. Mais si la situation de Segasa demeure surprenante, c’est aussi parce que l’entreprise va, durant les années 1970, se mettre à exploiter un nom de marque… évocateur et prémonitoire : Sonic. On trouve ainsi des produits estampillés Sonic ou Segasa d.b.a Sonic bien avant la naissance du hérisson. Troublant. À cette période, la filiale ibérique a également développé des partenariats en obtenant des licences de groupes aussi importants que Williams. Elle parviendra même, durant les années qui suivirent, à récupérer des licences d’Atari et de… Nintendo. On lui doit également le concept « Video Sonic » matérialisant des bornes d’arcade standardisées avec des éléments interchangeable à volonté. Libérée de la politique dictatoriale de Franco, Segasa verra son activité exploser à la moitié des années 1970 et deviendra l’une des pionnières dans l’introduction des jeux d’arcade en Espagne[5].

[5] Galikus.com, https://galikus.com/brandstocker/podcast/sega-el-fracaso-de-una-marca-exitosa/

La vague Pong

En 1973, les jeux électromécaniques sont à bout de souffle et tous les éditeurs, dont SEGA, vont s’engouffrer dans le nouveau phénomène à la mode : Pong. Imaginé par Nolan Bushnell, fondateur d’Atari, et programmé par Allan Alcorn, le programme simule une rencontre de tennis de table avec un naturel saisissant. Malgré le visuel très sommaire, et à l’image de ce que sera bien plus tard le tennis sur Wii, le concept est immédiatement compréhensible et tout le monde craque pour ce nouveau type de divertissement. Nolan Bushnell a compris rapidement l’intérêt des jeux vidéo et il a même conçu une version commercialisable de Space War, un jeu de tir créé par Steve Russell à partir de l’année 1961. Bushnell produit 1 500 machines mais ne rencontre pas le succès, la faute à un produit qui demande de parcourir une longue notice pour être utilisé. L’Américain comprend qu’il faut une idée simple et accessible et décide, pour répondre à cet échec, de s’appuyer sur un concept aperçu lors d’une session de présentation chez un distributeur. C’est durant cette journée de mai 1972 que Bushnell découvre la console Odyssey, une étonnante machine capable d’afficher et de déplacer trois blocs monochromes à l’écran. Le tout est vendu avec un contrôleur à molette et des calques que l’on vient poser sur l’écran pour simuler une rencontre de tennis, une partie de hockey, un match de football, etc. Et c’est le jeu de ping-pong, Table Tennis, qui va attirer l’œil du créateur. Nolan Bushnell va alors transformer cette idée en une borne d’arcade qui va devenir incontournable. Après le refus de Bally Midway pour la commercialisation de la machine, Bushnell décide de s’en occuper lui-même et va faire la fortune d’Atari. Cette borne ultra populaire va finir par trouver un écho mondial.

Ligne de production chez SEGA Enterprises, Ltd. en 1970.
Dans sa biographie, Tomohiro Nishikado, créateur de Space Invaders, se souvient de sa rencontre avec Pong. Alors employé pour Pacific Kyôgô, il relate : « Un beau matin de 1973, on nous a livré une étrange borne. Elle était posée juste à côté de ma section fourniture. En la regardant avec plus d’attention, j’ai remarqué qu’elle intégrait un téléviseur en façade, et qu’à l’intérieur de l’imposante carcasse se trouvait une simple carte de circuits imprimés. [6]» En s’approchant, le Japonais découvre que la carte en question est recouverte de circuits imprimés. En allumant la borne, il se retrouve face à « une sorte de ping-pong électronique ». En y jouant, et ce malgré les réticences de certains de ses collègues, il découvre un jeu extrêmement prenant et amusant.  Bien que très attiré par l’objet, Pong va finalement être mise de côté par la direction de Pacific Kyôgô, certains responsables estimant que la culture américaine est bien différente de la japonaise et qu’il est difficile de vendre à prix fort une boite « vide » (à l’inverse des impressionnants jeux électromécaniques) à des exploitants de salles. Cruelle erreur.

Véhicule utilisé par les commerciaux de SEGA Enterprises, Ltd. pour sillonner le pays.


SEGA, de son côté, va s’emparer très rapidement du phénomène Pong et réadapter la borne américaine en exploitant une technologie dite « discrete logic ». Sans trop rentrer dans la technique, cela signifie que les développeurs ont utilisé un système de composants sans processeurs (circuit logique). Mais c’est surtout la présence de l’écran à tube cathodique qui a interloqué les joueurs et créateurs japonais. En copiant la borne de Bushnell, mais en utilisant sa propre méthode de conception, SEGA sort Pong-Tron en juillet 1973. Le succès est tellement fou que l’entreprise peut se permettre d’augmenter le coût des parties. « Space Invaders était un jeu très important. Mais avant cela, il y a eu Pong—Tron et des jeux de casse-briques comme Breakout. Ces jeux nous ont permis de fixer le prix d’une partie de 10 yens à 50 ou 100 yens. […] Avec Pong-Tron et Breakout, on a commencé à voir beaucoup plus de bornes upright (Nda : borne qui se joue debout), et puis il y a eu aussi les jeux de balles.[7] », relate Akira Nagai. Bien évidemment, ce succès phénoménal – qui obligera SEGA, à l’image d’Atari, à augmenter la taille de la boite récoltant les pièces – ne va pas laisser la concurrence insensible.

Ligne de test des jukeboxes.
Tomohiro Nishikado, futur créateur de Space Invaders, se souvient du regard de Taito à cette époque : « Pendant que nous passions des heures à nous amuser avec votre nouveau jouet (Nda : Pong), la direction a soudainement découvert que SEGA avait aussi acheté une borne Pong. Mieux, SEGA l’avait adapté et venait tout juste de la placer en location test ! D’ailleurs, les premiers jours de tests montraient que les joueurs étaient non seulement très réceptifs, mais qu’en dépit du prix des parties qui étaient passées de 30 à 50 yens, les cash box se remplissaient visiblement très vite ! [8]» Taito finira par rattraper SEGA en moins d’un mois grâce à un clone appelé Elepong et d’autres entreprises de divertissement leur emboîteront le pas.  Petit à petit, les jeux électromécaniques vont faire place à un nouveau type de divertissement : le jeu vidéo.

Akira Nagai estime que l’émergence de ces jeux découle, en partie, de la facilité de fabrication : « Avant les jeux vidéo, il s’agissait essentiellement de machines d’arcade électromécaniques. La partie développement et programmation des jeux vidéo était tout sauf évidente, mais pour ce qui touchait à la fabrication, c’était beaucoup plus simple. Tout ce dont vous aviez besoin était un moniteur et une carte mère, et ça ne réclamait pas beaucoup de maintenance. […] Avec les jeux vidéo, le fait que l’on puisse réécrire un programme sur la carte-mère a été le facteur décisif pour l’établissement de leur hégémonie. [9]»

[6] Florent Gorges, Space Invaders, Comment Tomohiro Nishikado a donné naissance au jeu vidéo japonais, 2017

[7] Traduction française de Shmuplations, Beyond the Galaxy, http://beyondthegalaxy.over-blog.com/2018/08/sega-arcade-history-les-annees-fondatrices.html, 28 août 2018

[8] Florent Gorges, Space Invaders, Comment Tomohiro Nishikado a donné naissance au jeu vidéo japonais, 2017

[9] Traduction française de Shmuplations, Beyond the Galaxy, http://beyondthegalaxy.over-blog.com/2018/08/sega-arcade-history-les-annees-fondatrices.html, 28 août 2018

Mutation

Au mois de mars 1974, Gulf & Western transfère SEGA Enterprises, Ltd à Polly Bergen Company, une entreprise new-yorkaise de cosmétiques appartenant à la chanteuse et actrice éponyme.  Au départ, le groupe détient 53% des parts mais obtient finalement 95% en quelques semaines après qu’il ait vendu le stock d’invendus au concurrent Fabergé. Polly Bergen Company – acquise pour la somme de 1,7 millions de dollars – est alors renommée SEGA Enterprises, Inc. David Rosen, quant à lui, préside toujours la filiale japonaise, SEGA Enterprises, Ltd.  Au milieu des années 1970, la société, épaulée et protégée par le géant Gulf & Western, multiplient les sorties de jeux d’arcade à circuit logique : Pong-Tron II, Table Hockey, Ballon Gun, Goal Kick, Bullet Mark, Mini Hockey… tous les moyens sont mis en œuvre pour impressionner les joueurs. « L’un des autres gros facteurs de la démocratisation du jeu vidéo était de savoir combien d’éléments graphiques nous étions en mesure de représenter à l’écran. Je me souviens du jeu de course Speed Race de Taito, sorti en 1974, qui connut un énorme succès à l’aube même de l’ère du jeu vidéo. Nous nous sommes battus farouchement face à Taito pour gagner des parts sur ce marché. [10]» En 1976, sentant que son entreprise est à un tournant, David Rosen décide de modifier le logo. L’ancien logo rouge est remplacé par celui que tout le monde désormais : le SEGA en lettres capitales bleues et ses fameuses lignes blanches.

[10] Traduction française de Shmuplations, Beyond the Galaxy, http://beyondthegalaxy.over-blog.com/2018/08/sega-arcade-history-les-annees-fondatrices.html, 28 août 2018

Pendant plusieurs années, la concurrence fait rage mais c’est finalement Taito qui surprend l’industrie en 1978 avec Space Invaders. Imaginé et conçu par Tomohiro Nishikado, le jeu devient un tel phénomène qu’il va entraîner une pénurie des pièces de 100 yens dans tout le Japon. Préfigurant le genre shoot’em up, le hit de Taito est né d’un désir fort de Nishikado. 

« Lorsque mon prototype final de Fisco 400 – le jeu précédent de l’intéressé – a été validé au début de l’année 1977, j’ai sérieusement commencé à réfléchir à mon jeu suivant. J’avais entamé mes recherches et mon étude des micro-processeurs depuis déjà de nombreux mois, et je me savais désormais capable d’en utiliser toutes les techniques pour créer des jeux vidéo. Le problème était maintenant de savoir quel jeu concevoir et surtout, comment honorer la demande de ma direction qui était de ‘surpasser Breakout’ ! Malgré les mois qui passaient, je n’avais toujours pas ôté ce défi de ma tête ! » 

Insatisfait par le support de développement MDS d’Intel, une machine jugée très chère et excessivement lente, l’ingénieur japonais se met à développer ses propres outils de développement. Le projet, au nom étrange de KX79, est alors bâti sur les fondations de Breakout. Pour Nishikado, l’idée consiste à créer un jeu qui permet de détruire des cibles une-à-une en reproduisant la satisfaction et le plaisir que l’on obtient lorsqu’on atteint la dernière cible. Grâce à une incroyable motivation, le visionnaire, qui va jusqu’à anticiper le succès de Star Wars, va donner naissance à un jeu désormais culte. 



L’ancien directeur de SEGA, Akira Nagai, se souvient de l’impact de Space Invaders sur le marché : 
« Je pense que la raison pour laquelle Space Invaders a si bien marché, tient de la prolifération des bornes cocktail. À cette époque, il n’existait pas encore de bornes upright. Les meubles en forme de tables permettaient de faire rentrer les jeux d’arcade dans les cafés, et à partir de là, le phénomène s’est répandu comme une traînée de poudre. Les ventes chez Taito bondirent d’un coup. La compagnie passait en tête de peloton devant d’autres entreprises japonaises, et même face à Honda. Le jeu était si populaire qu’il y avait des endroits où l’on ne trouvait que des bornes de Space Invaders ! Chez SEGA, nous avons essayé de nombreuses choses pour continuer à être dans la course, comme inviter des célébrités à venir travailler chez nous et promouvoir nos jeux. Senkan Yamato (un clone de Space Invaders mettant en scène un cuirassé de l’espace avec trois tourelles) a été conçu quand j’étais en activité mais nous n’avons pas réussi à dépasser Taito. [11]»

[11] Traduction française de Shmuplations, Beyond the Galaxy, http://beyondthegalaxy.over-blog.com/2018/08/sega-arcade-history-les-annees-fondatrices.html, 28 août 2018

La fin des années 1970 est plutôt prospère pour SEGA qui peut compter sur la puissance de Gulf & Western et l’émergence du jeu vidéo. En 1978, David Rosen prend une décision qui va changer le visage de la firme pour les prochaines décennies. 

À suivre...

12 avr. 2020

L'Histoire de SEGA (suite)



CHAPITRE 2
EN EAUX PROFONDES



Années 1965 - 1969



Sega Enterprises, Ltd. en 1965.
Les années 1960 marquent le déclin des machines à sous. De nombreuses entreprises se sont infiltrées dans la brèche et ont fait naître une concurrence quasiment irrespirable. Pour David Rosen, qui a sorti un « Punching Bag » (un sac de frappe électromécanique) du temps de Rosen Enterprises, Ltd, le constat est clair : soit l’entreprise se renouvelle, soit elle fonce droit dans le mur. Avec le marché arrivé à maturité, il a certes réagi avec les machines d’arcade (allant jusqu’à en exploiter plus de 200 en 1963) mais estime que ce n’est pas suffisant. Nihon Gokaru Bussan, présidé par Richard Stewart, distribue divers supports de divertissement (bornes d’arcade, flippers, billard…) tandis que l’usine Nihon Kikai Seizo, gérée par Raymond Lemaire, fabrique des machines à sous. C’est également à cette période que l’entreprise recentre son activité vers le domaine civil tout en conservant quelques connexions avec les bases militaires. Les machines à sous qui sortent de l’usine sont destinées à être remplacées par des bornes d’arcade. Pour le chef d’entreprise, il n’y a pas de doute, elles sont l’avenir ! Mais il faut aller plus loin, beaucoup loin, que de vendre des marchandises sous licence, qui sont le fruit d’autres compagnies.

David Rosen est persuadé que l’exploitation de son usine de fabrication n’est pas optimale. Sur conseils de Ochi Shikanosuke (un ingénieur apparaissant sur plusieurs brevets de la marque[1]), il décide, en coordination avec ses principaux bras-droits, de créer la première borne d’arcade-maison. Pour cela, il fait appel à l’un de ses talentueux designers, Hisashi Suzuki.  L’homme, entré chez Nihon Gokaru Bussan en 1962, est l’un des tous premiers employés de la nouvelle entité. Âgé de vingt-trois ans à l’époque et en retraite depuis 2014, il a participé à une interview pour le hors-série SEGA Arcade History Book du magazine Famitsu où il raconte :

« À l’époque, nous cherchions du travail et la quasi-totalité des entreprises qui proposaient des semaines à cinq jours étaient des entreprises fondées par des ressortissants étrangers. SEGA avait cela mais, en plus, les troisièmes vendredis de chaque mois étaient un jour de congé ; ce qui faisait un nombre impensable de vacances.[2] »

[1] https://patents.justia.com/inventor/shikanosuke-ochi

[2] Ken Horowitz, The SEGA Arcade Revolution : A History in 62 Games

Un jour de l’année 1965, alors qu’il vaque à ses occupations habituelles, il reçoit la visite de David Rosen. Impressionné par la prestance et le charisme de son patron, le garçon peine à décrocher un mot et s’attend même à une remontrance. Aussi, sa surprise est totale lorsqu’il comprend qu’on lui lance le défi de réaliser la première borne d’arcade de l’entreprise. Bien que savourant l’instant, il mesure la portée du challenge :

« Avec les jeux vidéo, d’une manière générale, vous pouvez en faire tout ce que vous voulez tant que vous avez le programme correspondant. Avec les jeux électromécaniques, vous devez créer toute la structure. Il y a de nombreux éléments auxquels vous devez penser, de son efficacité au coût en passant par les fonctions facilitant la réparation. Le design et le développement étaient deux métiers différents à l’époque. Le développement était là pour proposer un concept, autrement dit une idée globale de la fonction d’une machine. Le design, quant à lui, s’assurait d’implémenter ce concept[3]»

En dépit de sa relative inexpérience, Suzuki connaît la marche à suivre pour mener à bien sa mission. Et la première chose qu’il doit faire, c’est de trouver un concept qui soit suffisamment efficace, à la fois pour son intérêt que sa mise en scène. C’est à ce moment que l’histoire se délite…

[3] Ken Horowitz, The SEGA Arcade Revolution : A History in 62 Games

L’imbroglio Periscope

La mise en chantier de cette borne, sobrement nommée Periscope, est un tournant majeur dans l’Histoire de SEGA et de l’industrie du jeu vidéo. Depuis ses débuts, la firme s’est toujours attelée à recarrosser des productions américaines existantes pour les adapter au marché japonais, le tout en obtenant des licences auprès de constructeurs (Bally, Midway…) reconnus. Par ailleurs, la concurrence de Taito et d’autres se faisait de plus en plus pressante, les concurrents n’hésitant pas à s’emparer de points stratégiques. Les opportunités se faisant rares, SEGA n’a pas eu d’autre choix que de réagir. David Rosen, nostalgique, revient sur cette décision : 

« En 1966, nous avons conçu notre premier jeu que nous avons appelé Periscope. Si vous parlez aux vieux de la veille de cette industrie, tous vous diront que cette borne a été un tournant historique dans le secteur du divertissement. C’était un jeu très simple, vous deviez tirer sur des navires (qui avançaient via un système de chaînes) à travers un périscope. [4]» 

À l’image du tir au canard dans les fêtes foraines, la borne réclame une certaine précision et profite d’un système extrêmement ingénieux. 

« Nous avions un océan simulé par du plastique, et on avait des lumières qui traversaient l’océan », détaille l’intéressé. « Le joueur devait lancer la torpille afin d’atteindre les navires. Cela paraît très simple aujourd’hui et ça ressemble à ce que l’on pourrait trouver dans les magasins de type Toys’R US. Mais à l’époque, c’était quelque chose de révolutionnaire. Bien sûr, il y avait de bons effets sonores lorsque la torpille touchait le navire et la borne comptabilisait les points en fonction du nombre de navires touchés. Vous avez cinq tirs par partie. [5]» 

Ce produit, star des salons pendant plusieurs années (notamment lors de l’Exhibition of Amusement Equipment de Londres en 1968), va être le déclencheur d’une nouvelle politique chez SEGA. David Rosen précise : 

« Nous avons conçu cette borne pour le Japon et ce fut un énorme succès. Le succès fut tel que les distributeurs européens et américains ont voyagé jusqu’au Japon pour découvrir la borne. Nous n’avions pas pensé à l’exportation en construisant cette borne. C’était un peu comme un jeu de construction, que nous avons modifié. Finalement, nous avons commencé à exporter la borne mais le prix était environ deux fois plus cher que n’importe quelle machine d’arcade aux États-Unis. De 695 ou 795 dollars, on passait à 1 295 dollars ! Les distributeurs se sont plaints en disant : « Nous savons que c’est une super borne mais on ne peut pas payer 1 295 dollars ! ». Du coup, on leur a répondu de la façon suivante : « Vous savez, c’est très simple, vous mettez la partie à 25 cents et on vous garantit que vous rentrerez dans vos frais. C’est le prix indiqué aux États-Unis. » Et c’est ce qui a lancé SEGA dans le commerce d’exportation. [6]» 

Même si Periscope n’est pas le premier titre à exploiter un tarif aussi accessible, il est évident que la promotion « 25-Cent Play » mise en place par Rosen a contribué à son succès phénoménal.

Mais si Periscope, disponible mondialement en 1968, est lié à l’Histoire du jeu vidéo, il est important de signaler que le récit aurait pu être bien différent sans la présence d’une firme qui deviendra l’un des plus farouches concurrents de SEGA : Namco. Fondée en 1955 par Masaya Nakamura, Nakamura Seisakusho Co., Ltd (qui deviendra NAkamura Manufacturing COmpany pour Namco) est à l’origine une entreprise spécialisée dans la production de chevaux mécaniques à bascule et de manège à destination des magasins. C’est en implantant ses marchandises au sein de grandes enseignes qu’elle finit par croiser la route de SEGA. Mais là où l’affaire devient troublante, c’est que le premier jeu conçu par Masaya Nakamura se nomme Torpedo Launcher et qu’il s’agit également d’un jeu de sous-marin. Il est sorti en 1965[7], soit une année avant la borne de SEGA, et sa ressemblance avec cette dernière est frappante. À l’exception de quelques détails d’ordre graphique, la structure est exactement la même. Le seul changement majeur réside dans le multijoueur dans le sens où le titre de Nakamura – qui n’a pas quitté le sol japonais – embarque trois cabines pour y jouer en trio. Celui de SEGA, à l’inverse, est destiné à une utilisation en solitaire, avec une seule et unique cabine. Pendant un temps, Torpedo Launcher gardera ce nom pour être, plus tard, renommé… Periscope.

Par conséquent, nous sommes en droit de nous poser la question ? Qui est le créateur original de cette borne ?

Si plusieurs enquêtes ont été menées à ce sujet, dont celle passionnante du site History of How We Play[8] , aucune n’est parvenue à une conclusion définitive. Certains estiment que Periscope est une création de Hisashi Suzuki et que SEGA a ensuite vendu la licence à Masaya Nakamura, la date de 1965 représentant la signature de l’accord et non la sortie du jeu, estimée à 1967. D’autres, en revanche, certifient que Torpedo Launcher est une œuvre de Namco, que SEGA a adapté en la renommant Periscope. Namco, se sentant floué, a décidé de surfer sur le succès du nom Periscope en récupérant ce qui lui appartenait.  Qui a raison ?

En se référant aux documents d’époque, on remarque que SEGA a présenté une version « trois cabines » de Periscope lors du Hotel Equipment Exhibition se déroulant à Paris à la Porte de Versailles du 12 au 23 octobre 1967. Il s’agissait d’une version d’essai dans la mesure où SEGA a, par la suite, quasiment toujours commercialisé sa borne avec une seule cabine. Lors de l’évènement, l’attente autour de Periscope était telle que la borne ne générait pas moins de 100 dollars (500 francs, soit environ 76 euros) par jour. Si le Periscope de SEGA est sorti dans le monde en 1968, il est tout de même étrange que la firme japonaise se soit essayée à cette démonstration en « triple cabine ». Une vengeance envers Nakamura ?

[4] Interview de David Rosen, Steven L. Kent, Entertainment Empire of the Rising Sun : A conversation with SEGA Founder David Rosen, 2001

[5] Interview de David Rosen, Steven L. Kent, Entertainment Empire of the Rising Sun : A conversation with SEGA Founder David Rosen, 2001

[6] Interview de David Rosen, Steven L. Kent, Entertainment Empire of the Rising Sun : A conversation with SEGA Founder David Rosen, 2001

[7]Listing japonais officiel de Namco - https://product.bandainamco-am.co.jp/am/info/pdf/drop0903_list_090324.pdf

[8] History of How We Play, https://thehistoryofhowweplay.wordpress.com/2017/06/16/who-created-periscope, 16 juin 2017

Au milieu des années 1960, SEGA et Taito étaient bien plus importants que la future Namco et il y a fort à parier que la petite entreprise n’avait pas les moyens de se défendre face à ces mastodontes. Cela n’a pas empêché des structures plus modestes de copier allègrement le concept. Dès 1967/1968, des clones de Periscope ont vu le jour et il n’était pas rare de retrouver plusieurs Periscope différents dans la même salle d’arcade. La véritable histoire de Periscope, malgré les analyses poussées de tracs et autres publicités d’époque, reste donc chargée de mystères. La piste la plus plausible reste que le concept est bien l’œuvre de Masaya Nakamura. L’homme, qui avait l’habitude de négocier avec les gérants d’enseignes, a probablement installé une borne unique sur l’un des toits des magasins de Tokyo. En ce temps-là, l’entreprise ne possédait pas d’usine (elle sera construite et fonctionnelle en 1966) mais elle était réputée pour ses jeux de grande envergure. Elle est en effet à l’origine du Roadway Ride, un jeu de course électromécanique qui faisait fureur sur le toit du Mitsukoshi Department Store à Tokyo. Cette enseigne, Mitsukoshi, deviendra par la suite un partenaire privilégié de Nakamura.

L’attraction Torpedo Launcher ( ) n’a sans doute pas échappé à SEGA. C’est peut-être Rosen ou son employé Hisashi Suzuki qui ont jugé le concept fantastique et qui ont décidé d’en faire leur propre version. Le nom « Periscope » proviendrait, en revanche, de SEGA. Le succès du titre fera que des sociétés européennes, notamment Mayfield Electronics, s’empresseront de récupérer le concept pour imaginer leur propre version du jeu. Le site The History of How We Play va même jusqu’à souligner que le constructeur anglais a fait breveter son propre Periscope, intitulé Submarine Patrol, quelques semaines après le salon ATE où était présenté… Periscope de SEGA. Une autre firme britannique, Nixsales, a également sorti sa copie appelée « Action Stations ». C’est dire le flou qui règne autour de cette borne. Flou qui se densifie lorsque l’on apprend que des bornes, qui n’ont rien à voir avec l’œuvre japonaise d’origine, prenaient elles aussi les traits d’un jeu de sous-marin (c’est le cas d’Undersea Raider de Bally, de Torpedo Shoot de Mayfield Electronics…), certaines allant même jusqu’à être renommées Periscope pour profiter du naming à succès de la borne d’origine.

On aurait pu penser que Masaya Nakamura, le fondateur de Namco, allait réhabiliter son statut de créateur mais l’homme est toujours resté vague à ce sujet. Dans une interview traduite et diffusée sur le site The History of How We Play, le chef d’entreprise, interrogé lors du numéro de janvier 1977 du magazine américain Play Meter, apporte quelques détails.

Play Meter : « Quel a été le premier appareil de divertissement que vous avez conçu ? »

Nakamura : « C’était un jeu de sous-marin appelé Periscope, un jeu à trois joueurs, trois périscopes installés en parallèle. »

Play Meter : « Et quelle a été l’étape suivante ? »

Nakamura : « Après Periscope, nous avons créé un jeu de chars adapté d’un conflit historique opposant les forces alliées et les forces allemandes pendant la Seconde Guerre Mondiale. »

Play Meter : « Lorsque vous avez commencé la fabrication de jeux, avez-vous vendu ces jeux à vos concurrents ou aux opérateurs de distribution de vos jeux ? »

Nakamura : « Oui. »

Play Meter : Le jeu de sous-marin que vous avez mentionné auparavant, vous parlez de Seawolf ?  Mais c’était il y a juste dix ans. Serait-ce le premier jeu de périscope de tous les temps ? »

Nakamura : « Je ne crois pas, mais c’était le premier jeu de sous-marin célèbre au Japon. Je pense qu’il y avait des jeux similaires avant. Cependant, c’était le premier jeu de périscope célèbre. »

« Le premier jeu de périscope célèbre ». Il ne précise à aucun moment s’il s’agit de son œuvre ou celle de SEGA qu’il a adapté.


Le créateur de Space Invaders, Tomohiro Nishikado, apporte un éclairage encore différent dans sa biographie :

« Je me souviens bien que mon premier travail (Nda : Chez Pacific Kyôgô, une filiale de Taito), c’était sur une borne appelée Periscope. J’étais chargé d’assembler les leviers de ce jeu. SEGA a aussi sorti un modèle quasiment identique sous le même nom que nous, au même moment. Aujourd’hui, je suppose que tant de similitudes engendreraient d’innombrables problèmes, mais à l’époque, personne n’a rien dit. De toute façon, je suppose que l’idée d’origine de Periscope venait surtout des États-Unis, et que les modèles de SEGA et de Taito n’étaient que des variantes réalisées sans licence… [9]»

SEGA, Namco, Taito… On en est donc réduit à des déductions en attendant que de nouvelles informations soient, peut-être, exhumées un jour.  L’histoire autour de Periscope est si riche qu’il faudrait une grande enquête pour en comprendre les tenants et aboutissants.

[9] Florent Gorges, Space Invaders, Comment Tomohiro Nishikado a donné naissance au jeu vidéo japonais, 2017

Au son de la musique

Bureau de SEGA à Osaka au milieu des années 60.
En plus de l’exploitation et de la conception de bornes, SEGA a pris très au sérieux une autre activité. Akira Nagai, ancien directeur de la firme, a participé à une longue interview dans le cadre de l’ouvrage SEGA Arcade History paru en 2001 et revient sur une facette assez méconnue du constructeur : « Taito, SEGA et V&V se menaient une guerre commerciale : Taito importait les machines de Seeburg, SEGA importait les Rock-Ola et V&V (qui comptait un certain Hayao Nakayama parmi ses employés) importait des Wurlitzers. C’est au cours de cette période que vous avez pu commencer à voir proliférer des juke-boxes dans les restaurants, bars et autres types de commerces. Et pas seulement des juke-boxes, mais aussi des karaokés ainsi que la radio et la télévision par câble. La musique commençait à s’immiscer dans la vie quotidienne et SEGA était en première ligne. [10]»

La musique ! SEGA s’est intéressée à l’émergence des stations radio et à la multiplication des titres durant les années 60, au point de posséder… un studio d’enregistrement.  Akira Nagai précise : « On comptait près de 700 000 enregistrements ! Nombre de chanteurs sont venus dans nos locaux pour des campagnes de promotions. […] Nous faisions dans tous les genres, de l’enka à la pop. Parallèlement à notre activité d’approvisionnement sur les bases américaines, nous avons également orienté nos affaires de façon à cibler le grand public. Nous avons vendu des machines à sous à des établissements japonais, qui à 1 000 dollars la machine, nous rapportait 360 000 yens (environ 1 050 euros en prenant en compte le taux de change historique) à la vente. Malheureusement, les lois ont par la suite changé et nous avons dû abandonner cette activité. […] Avec ces toutes nouvelles interdictions, nous avons lâché ce secteur pour nous concentrer sur les juke-boxes, puis nous avons commencé à importer des flippers. Cependant, les juke-boxes commençaient à être en concurrence avec les karaokés qui, peu à peu, grignotaient des parts de marché. [11] »

À l’époque, ces appareils étaient installés dans la rue et les lieux publics et non pas dans des cabines privées. Pour contrer cette concurrence, SEGA a alors mis en avant les points forts des juke-boxes, à commencer par le choix de l’utilisateur. Là où le câble diffuse des titres aléatoires, le juke-box permet à l’intéressé de sélectionner ses morceaux favoris et de les écouter à loisir. Cette campagne a été un succès et l’entreprise tokyoïte a pu développer son catalogue musical pour se diversifier.

[10] Traduction française de Shmuplations, Beyond the Galaxy, http://beyondthegalaxy.over-blog.com/2018/08/sega-arcade-history-les-annees-fondatrices.html, 28 août 2018

[11] Traduction française de Shmuplations, Beyond the Galaxy, http://beyondthegalaxy.over-blog.com/2018/08/sega-arcade-history-les-annees-fondatrices.html, 28 août 2018


Les Games Corners

Réunion du conseil d'administration de SEGA. En partant du bout de table vers
la droite : Richard Stewart, David Rosen et Raymond Lemaire.
Bien évidemment, l’activité musicale, si elle avait son importance, était sans commune mesure avec le boom des jeux électromécaniques. « Avant Pong d’Atari, il n’y avait pas de Game Center », explique Akira Nagai. « On trouvait plutôt des « gun corners » dans lesquels on pouvait s’adonner à des jeux de pistolets optoélectronique mais pas de jeux vidéo. Techniquement, SEGA ne gérait pas cette affaire en solo. Nous avons fusionné avec Rosen Enterprises en 1965. On a ouvert nos premiers gun corners à Hibiya (Tokyo) et Umeda (Osaka). Nous avons aussi importé des flippers et des jeux à pistolets fabriqués par Midway, une compagnie américaine. Un peu plus tard, nous avons connu le boom du bowling au Japon, et les salles dédiées ont fusionné avec les gun corners pour devenir des « games corners ». Nous avons amené une grande variété de machines américaines, mais elles étaient déjà usées puisqu’il s’agissait de matériel d’occasion. [12]» Akira Nagai explique ensuite que l’utilisation de ce matériel était un calvaire car les machines tombaient sans arrêt en panne. C’est en partie ce qui a poussé SEGA à développer ses propres jeux d’arcade, en comptant notamment sur sa capacité de production grâce à l’usine Nihon Kikai Seizo. Il poursuit : « C’est là la naissance officielle de SEGA. Tout cela grâce au boom du bowling et à l’expansion des games corners. De plus, on commençait à trouver sur les toits des grands magasins des games corners. Ces zones étaient la propriété de nouvelles entreprises de jeux très fortes dans leur domaine comme Namco. Des entreprises telles que Taito et SEGA ont commencé avec des investissements étrangers en ciblant initialement les bases de l’armée américaine. Notre activité a débuté avec les juke-boxes et les flippers et s’est ensuite étendue aux gun corners, nous avions un business model très différent de Namco, donc nous n’étions pas directement en concurrence avec eux. [13]»

Dans le sillon de Periscope, SEGA a sorti plusieurs jeux électromécaniques. C’est le cas de Basketball qui, comme son nom l’indique, est un jeu de basket paru en 1966. Reconnaissable à son dôme translucide, il s’agit d’un titre qui ressemble énormément à Basketball de Midway et à Taito Basketball. Le concept est assez simple à comprendre, il faut imaginer deux joueurs de chaque côté de la borne, positionnés face à un panneau de commandes. Sur ce panneau se trouvent quinze boutons pressoirs numérotés qui actionnent des tiges au niveau du terrain. Ces tiges sont implantées dans des trous marqués par des chiffres (en noir ou rouge selon le joueur) et correspondant, pour chacun des trous, à un bouton pressoir. Il faut alors doser la pression sur les boutons pour déplacer la balle sur le terrain et l’envoyer dans le panier adverse. L’idée, toute simple mais intelligemment mise en scène, a conquis immédiatement le public. Les parties coûtaient entre dix et vingt cents et l’avantage était qu’on pouvait y jouer en solo (dans ces conditions, le joueur actionne les boutons noirs) comme en duo.

Vue de Sega Enterprises, Ltd. à Haneda, près de l'aéroport.
En 1967, ce fut au tour de Rifleman de rejoindre les games corners. Prenant pour univers le western, cette borne est d’une complexité rare dans sa conception mais d’une ingéniosité folle. Grâce à la lunette du fusil, le joueur doit viser des cibles en regardant l’objectif afin d’obtenir le meilleur score. Mais là où la machine fait fort, c’est qu’elle est équipée d’un poinçonneur automatique qui positionne l’impact des tirs sur un carton représentant les cibles. Le ticket en question est ensuite poussé et récupéré par le joueur grâce à une petite ouverture sur le côté de la borne.

SEGA, voyant sa popularité grandir, décide de mettre les bouchées doubles et multiplie les projets : de la voiture avec Drivemobile et Grand Prix, de la chasse aux canards avec Duck Hunt (!), du sauvetage aérien avec Helicopter (via une tige qui déplace l’appareil sur un plateau), du football façon babyfoot avec Mini Futbol, du ping-pong décalé avec MotoPolo et du tir avec Combat, Missile ou encore Gun Fight. Cette profusion de titres, parus entre 1967 et 1969, va alors avoir un effet négatif sur le public. Qui ne restera pas sans conséquences…

[12] Traduction française de Shmuplations, Beyond the Galaxy, http://beyondthegalaxy.over-blog.com/2018/08/sega-arcade-history-les-annees-fondatrices.html, 28 août 2018

[13] Traduction française de Shmuplations, Beyond the Galaxy, http://beyondthegalaxy.over-blog.com/2018/08/sega-arcade-history-les-annees-fondatrices.html, 28 août 2018

À suivre...