Le Making Of de Prince of Persia

Direction l'univers des 1001 nuits. Imaginé par Jordan Mechner, Prince of Persia est devenu un jeu culte, aussi bien pour la qualité de sa réalisation que son originalité. Ensemble, nous allons retracer l'histoire de ce célèbre titre, avec anecdotes et apports de vidéos explicatives. L'interactivité au service du retrogaming, ça a du bon ! Sans plus attendre, place à ce nouveau dossier. 

RACONTE-MOI...




Tout commence en 1985. Jordan Mechner est un jeune diplômé heureux, mais il est partagé entre le souhait de créer des jeux vidéo et celui de plonger dans l'univers du cinéma et du scénario. Il faut dire que son premier jeu, Karateka, est devenu un véritable succès (500 000 pièces écoulées, à même de payer ses prêts d'études) et qu'il a désormais la chance de dessiner son avenir à sa guise. Pourtant, le natif de New York hésite à se lancer sur son second titre. Sa peur première : que sa passion du jeu vidéo ne vienne interférer sur celle du septième art. "J'avais peur de ne pouvoir m'adonner à mes deux passions et je me disais que si je me mettais à réaliser un autre jeu, il allait devenir ma vie. J'avais la crainte de ne pouvoir poursuivre mon autre rêve." Au fil des mois, le programmeur tente d'imaginer de nouveaux concepts de jeux vidéo, tout en fignolant l'écriture d'un scénario de film. C'est alors que l'éditeur Brøderbund, conquis par l'expérience Karateka, le contacte avec une offre d'emploi à la clé. L'homme accepte finalement de rejoindre cette société.

Babouche City

Dans un premier temps, son nouvel employeur lui propose de réaliser une suite de son hit Karateka. Mais Jordan Mechner préfère miser sur la fraîcheur, en s'inspirant du cinéma. Influencé par Les Aventuriers de l'Arche Perdue et l'acteur emblématique Harrison Ford, il se met à plancher sur une épopée avec des héros aux mouvements réalistes. "Dans la plupart des jeux de puzzle ou de plateformes de l'époque, les personnages ont tendance à sauter comme s'ils étaient en état d'apesanteur. Ils paraissent légers. Leur manière de sauter et retomber sur le sol est très abstraite, c'est plus une représentation de la réalité." Dès lors, le jeune homme va se pencher sur la manière de concevoir des mouvements fluides et réalistes, tout en s'appuyant sur les travaux effectués pour Katateka. Bien qu'ayant pris un sérieux coup de vieux, ce beat'em all (d'abord paru sur Apple II et adapté sur de nombreux supports) reste un pionnier en matière d'animation.

Du cinéma muet au jeu vidéo 

Pour Prince of Persia, Jordan Mechner s'est avant tout inspiré des dix premières minutes des Aventuriers de l'Arche Perdue. Le final du jeu et les dix minutes du film de Spielberg sont d'ailleurs incroyablement ressemblantes. Mais au delà de cet aspect cinématographique, le créateur voulait avant tout insister sur la portée émotionnelle de son nouveau jeu. Dans Karateka, on enchaîne les combats contre des adversaires de plus en plus redoutables dans le but de sauver la Princesse Mariko. La tension est donc palpable tout au long du jeu, et encore plus à l'approche de l'affrontement final. Prince of Persia s'appuie, à la fois pour son intrigue et sa progression, sur un film de 1940 : Le Voleur de Bagdad. Ce long-métrage est un remake d'une œuvre éponyme de 1924 et a fortement inspiré un succès de l'animation : Aladdin de Disney. Bien qu'il soit muet, on ressent toute l'intensité de l'aventure. "Ce qui fait vivre et respirer le jeu, ce qui rend l'univers si particulier, ce sont les détails." En partant de ce constat, et en s'appuyant sur divers long-métrages muets, Jordan Mechner se met à imaginer le squelette de sa future production.

Réalisme à tout prix

"La personnalité des protagonistes de l'histoire s'exprime par leur action, par la façon dont ils sont animés, par le gameplay et la progression à travers les niveaux. Quand on découvre le jeu, on s'aperçoit que le scénario a son lots de rebondissements et de personnages. C'est une histoire que vous vivez, pas une histoire que l'on vous raconte. A l'époque, c'était totalement nouveau dans le domaine du jeu vidéo." Lorsqu'on pense à Prince of Persia, on pense irrémédiablement à son animation ultra-réaliste. Fascinants à l'époque, ces mouvements sont la marque de fabrique de Jordan Mechner. Il en avait déjà donné un aperçu avec Karateka mais le niveau atteint avec Prince of Persia est tout simplement incroyable. Pour comprendre comment un tel résultat est possible, il faut distinguer deux choses : les phases de plateformes et les combats à l'épée. Pour les deux, la technique utilisée est la "rotoscopie" ou "rotoscoping", qui consiste à récupérer les mouvements d'une personne (ou animal) filmée en prise de vue réelle. L'idée est de dessiner les "contours" de l'animation afin de reproduire, avec le plus de précision possible, le mouvement. Imaginée au tout début du cinéma, dans les années 1900, elle a parcouru le XXème siècle (de très nombreux films d'animation exploitent ce principe de la rotoscopie) et continue d'être utilisée de nos jours.



Caméra au poing

Pour Prince of Persia, Jordan Mechner n'a pas hésité à faire appel à son frère David. Il l'a vêtu d'un vêtement blanc, semblable à celui du Prince. A partir de là, il lui a demandé d'effectuer différents mouvements : courir, sauter, s'accroupir, s'accrocher à une paroi... Les premières prises ont eu lieu en octobre 1985 et ce sont celles que l'on retrouve aujourd'hui sur la toile. Une fois les séquences filmées, elles sont récupérées et numérisées sur PC. Puis, image par image, le mouvement est décomposé et redessiné pixel par pixel. Un travail de longue haleine (le jeune homme va même jusqu'à faire des photos de ces prises de vue, en les disposant, par douzaine, sur le sol) mais qui donne lieu à un résultat extraordinaire. Pour les phases de combat, Jordan Mechner s'est inspiré du combat final du film "Les Aventures de Robin des Bois" avec l'emblématique Errol Flynn. Datant de 1938, ce long métrage propose plusieurs séquences intéressantes, dont le combat final qui est filmé en vue de profil. C'est ce plan que Jordan Mechner a utilisé, tout en reproduisant les différents mouvements d'épée des deux acteurs.

Ci-dessous : SÉQUENCES FILMÉES PAR JORDAN MECHNER
 


Ci-dessous : CROQUIS ET UTILISATION DE LA SÉQUENCE DES AVENTURES DE ROBIN DES BOIS



Devenus cultes, ces combats contre les gardes n'ont pourtant failli ne jamais exister. En effet, le manque de mémoire a longtemps persuadé le programmeur de ne pas inclure ce genre de séquences. Il souhaitait également que son jeu prône la non-violence, mais c'était sans compter sur son ami Tomi. "Le problème, c'est que le jeu était tout sauf amusant. A chaque fois que mon ami Tomi a vu le jeu, il m'a dit 'mets des combats, ça sera génial'. J'ai résisté pendant deux ans et j'ai craqué." Le thème des mille et une nuits lui est venu de manière assez naturelle. Cela faisait un bon moment qu'il n'avait pas été traité et il voulait éviter l'aspect science-fiction ou médiéval, avec capes et épées. "L'histoire de Prince of Persia est venue d'un désir simple : trouver un cadre élégant qui ne soit pas familier des autres jeux."


Une œuvre marquante

Après 3 années de travail acharné, Prince of Persia voit le jour en 1989. Il ne deviendra pourtant la référence que l'on connaît près de deux plus tard. Le jeu n'exploite pas de scrolling (il n'y a pas de défilement dans les décors) mais plutôt des tableaux. Bien qu'il s'agisse d'un compromis (manque de mémoire), Jordan Mechner reconnaît que ces différents plans apportent une véritable unité au jeu. Chaque tableau représente un défi que le joueur doit réussir. L'autre originalité du jeu vient du temps imparti, chaque partie durant une heure maximum. En effet, au bout de ces soixante minutes, la Princesse meurt et il faut faire en sorte que cela n'arrive pas. L'ennemi principal est le Vizir Jaffar et il faut le trouver avant que le sable du sablier ne s'écoule entièrement. Tout au long des niveaux qui parsèment l'aventure, on ne peut être que séduit par le level design très réussi, qui a fallu de nombreuses nuits blanches à Jordan Mechner. "Ma règle reste la même, à savoir que le joueur doit avoir un objectif précis, voir un désir, tout au long de l'aventure. Cet objectif peut être simple (comme atteindre le bord droit de l'écran par exemple) mais il faut toujours en avoir un. Cela coule de source, mais je me suis aperçu de cela que très tard dans le développement du jeu. Résultat, j'ai quasi repris l'intégralité des niveaux et je suis reparti de zéro ! C'est un principe de base, une histoire ne bougera pas tant que le personnage n'a pas de but précis. Un jeu ne bouge pas tant que le joueur n'a pas de but précis. Vous pouvez avoir l'action la plus spectaculaire qui soit, mais si vous n'êtes pas capable de l'interpréter dans le cadre d'un objectif, l'ennui s'installe très vite. C'est d'ailleurs incroyable de voir que de nombreux jeux font encore cet erreur aujourd'hui."

Succès tardif 

Prince of Persia n'aura qu'un succès d'estime sur Apple II (les ventes baissaient strastiquement) et sur MS DOS (PC) mais profitera de l'essor du marché des consoles. Il sera également une vraie réussite commerciale sur... MAC. Au total, plus de deux millions de copies vont être écoulées à travers le monde, la plupart étant des adaptations sur consoles. Tout le monde voulait sa part du gâteau : SEGA, Nintendo, Bandai, Domark, Hudson Soft, Konami...  Jordan Mechner se souvient de la tête des comptables de Brøderbund qui hallucinaient en voyant les chèques (royalties) de plusieurs centaines de milliers de dollars arrivés sur leur bureau. "Ils recevaient des chèques de sociétés dont ils n'avaient jamais entendu parler auparavant." Après le succès du premier opus, Jordan Mechner a déménagé à Paris et il s'est mis à concevoir Prince of Persia 2 : The Shadow and the Flame. Il a réalisé le design puis dessiné tous les niveaux. Il vivait à Paris, travaillait avec un éditeur de  niveaux... et envoyait le tout par disquettes 5,25 pouces, via FedEx, à San Francisco. Un monde entre hier et aujourd'hui, mais ces histoires sont véritablement passionnantes.




Sources : NowGamer, Edge Online, Youtube, Jordanmechner.com



Peu de jeux exploitent le thème des mille et une nuits. Prince of Persia, né trois avant Aladdin de Disney, fut l'un des précurseurs. D'autres (rares) titres suivront comme Magic Carpet. 



La version NES propose un scrolling qui tranche avec l'original. L'adaptation est délicate.
 

Les versions Master System et Game Gear sont à éviter, tant la maniabilité est perfectible. Les niveaux ont également été revus par l'éditeur Domark, pour un résultat tout sauf convaincant.



La mouture Mega CD avait tout pour être une franche réussite. Dommage que ses séquences animées aient pris le pas sur tout le reste, à commencer par l'animation saccadée.



Avec les opus NEC PC Engine Super CDROM et SNES, la version Mega Drive est l'une des meilleures. Belle, bien animée, avec des nouveautés de qualité... c'est un vrai must !
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