13 août 2014

JOYPAD est là !

En tant que grand lecteur du magazine JOYPAD, je suis ravi de vous annoncer l'ouverture du site JOYPAD. Je m'occuperai de la partie rédaction du site, le reste n'étant pas de mon ressort (pour les questions sur la licence, la technique, ce n'est pas vers moi qu'il faut se tourner ^^). 

Pour l'ouverture, je vous propose l'interview exclusive de Gregg Tavares, un développeur américain qui a travaillé chez SEGA Japon et qui raconte son étonnante expérience. Cliquez sur l'image ci-dessous pour découvrir l'interview ^^

ENJOY !


8 août 2014

Virtua Fighter - Les secrets de Yu Suzuki

C'est un fait, je n'ai jamais été attiré par les jeux de baston. Non pas que je n'aime pas ça, mais j'ai tendance à m'en lasser très vite. En revanche, j'ai toujours adoré le côté spectaculaire de la série Dead or Alive et le réalisme de la saga Virtua Fighter. Cette dernière, c'est simple, j'en suis amoureux. Même si j'estime qu'elle s'est un peu perdue en route, elle demeure ma série de baston préférée (et de loin). Après plusieurs semaines de travail, je suis satisfait de pouvoir vous présenter mon premier papier pour le tout nouveau site Ulyces. Il s'agit d'un concept de journalisme participatif, avec des articles payables à l'unité ou un système d'abonnement mensuel. L'intérêt : de pouvoir découvrir des récits, travaillés et passionnants, sur un grand nombre de sujets. Cinéma, jeu vidéo, sciences, géographie, histoire, technologie... La base de donnée est déjà conséquente (et franchement fascinante) et c'est dans cette optique j'ai accepté de participer à l'aventure. Mon deuxième papier est déjà prêt et je vous le ferai découvrir en temps et heure. Pour le moment, si le corps vous en dit, je vous invite à vous procurer Virtua Fighter au prix de 2,49 € ou bien de vous abonner mensuellement au prix de 5,49 € (ou 54,90 € par an) afin d'accéder à l'ensemble des histoires.

Pour comprendre ce qui se cache derrière ce papier, voilà quelques informations. L'ensemble, qui fait environ 27 000 signes, retrace le parcours de Yu Suzuki, ses méthodes de travail et son incroyable pari qui a mené à la conception du premier Virtua Fighter. Ensuite, en cours de lecture, le maître détaille plus précisément ses intentions en matière de gameplay, de personnages (vous apprendrez pourquoi le casting compte deux personnages féminins par exemple) et les INCROYABLES moyens employés pour booster l'équipe. Nul doute que si un patron s'amuse à ça en France, il se fait lyncher sur place ! Coulisses, création, anecdotes, vous saurez tout !

VIRTUA FIGHTER, à découvrir sans plus attendre sur ULYCES.


6 août 2014

Raconte-moi SEGA (2ème partie)


RACONTE-MOI 



Suite de la première partie

Le rouleau-compresseur 


Le siège social de SEGA Enterprises, Ltd en 1965.
En 1966, soit un an après la création de SEGA Enterprises, Ltd, l'entreprise sort son premier très gros succès : Periscope. Plus onéreuse que n'importe quelle borne de l'époque (1 295 $), cette "bataille navale" devient un phénomène. Au départ, les distributeurs sont très réticents pour allonger les billets verts. Pour retomber dans leurs frais, ceux-ci vont finalement écouter les hautes instances de SEGA, à commencer par David Rosen, en programmant des parties à un coût dérisoire : 25 cents, même si c'est plus cher que les autres bornes de l'époque (10 cents) . Le retour sur investissement est immédiat et les joueurs tombent amoureux de Periscope. Vu du XXIème siècle, la borne paraît très simple mais c'est une semi-révolution à l'époque. Il s'agit d'un jeu électromécanique vous mettant aux commandes d'un sous-marin muni d'un périscope. Le but est de viser les navires qui circulent pour atteindre le score plus élevé. L'eau, simulée par du plastique colorée, est accompagnée d'effets visuels et sonores épatants pour l'époque. Les navires, "au loin", sont actionnés par une chaine. Grâce à une mise en scène réussie et l'impression de se retrouver aux commandes d'un vrai sous-marin, Periscope va même pousser SEGA à se lancer dans l'exportation. 

La même année, en 1966, la marque s'essaye au sport et lance Basketball. Bien que très proche des bornes de la concurrence, Taito et Midway en tête, ce jeu fonctionne via un système de boutons pressoirs. Pour engranger des points, le joueur doit mettre la petite balle dans l'un des deux paniers, en sachant que le tout est jouable en solo ou à deux. Pour mener à bien la fabrication des jeux, David Rosen réalise plusieurs études de marché et met en place des partenariats très futés (il créé même une salle de bowling !). Les salles de cinéma de la Toho accueillent ainsi, pendant un certain temps, les jeux du constructeur. Grâce à son expérience, l'américain lance Rifleman en 1967. Ce jeu s'appuie sur ce qui plaît le plus aux joueurs japonais : les jeux de tir à base de pistolets à air comprimé. Mais pour contrer la concurrence, SEGA sort une idée originale de sa botte : l'impression, une fois la partie terminée, d'une carte indiquant la précision des tirs (il s'agit d'une cible révélant les points d'impact). Pendant plusieurs années, le constructeur se montre très prolifique (Missile, Helicopter, Combat, Duck Hunt...). Selon David Rosen, dans l'interview de Steven L. Kent, chaque année voyait l'arrivée de 8 à 10 bornes. Malheureusement, cette surabondance va mener à une petite catastrophe. 

De solutions en rachats 


SEGA ne lésinait pas sur les moyens. On peut situer cette
photo aux débuts des années 70, après que l'activité flipper
ait été lancée.
En 1969, alors que SEGA a de grands espoirs avec sa dernière création ambitieuse, Jet Rocket, l'entreprise se heurte à un revers sans précédent dans son histoire. Les trois manufactures principales de Chicago laissent tomber le jeu, au coût de conception pourtant très élevé. Devant cet échec retentissant, SEGA et son PDG, David Rosen, décident d'abandonner l'exportation. Dans la continuité de cette déception, et afin de se protéger, la firme tente de passer dans le domaine public, afin de faire son entrée sur le marché boursier. Dans un premier temps, SEGA se rapproche de plusieurs sociétés japonaises, dans le but de les racheter. Seulement voilà, les obstacles sont très nombreux. La société serait la première entreprise étrangère à passer dans le domaine public au Japon depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Par ailleurs, il s'agirait de la première société de divertissement à sauter le pas. Inconcevable pour le gouvernement nippon. Voyant les portes se fermer une à une, David Rosen ne se laisse pas abattre et entreprend des discussions avec de grands groupes américains, dans le but de racheter des entreprises publiques ou... privées pouvant passer dans le domaine public. Heureusement, SEGA ne se lance pas à l'aveugle dans cette affaire, et mandate un cabinet d'expertises (une entreprise américaine spécialisée en valeurs immobilières : Kidder Peabody) afin d'étudier toutes les possibilités. Au bout de quelques semaines, les financiers rendent leur verdict : SEGA doit se faire racheter et non pas acquérir d'autres firmes. Après moult réunions (certaines données font état de près de trois ans de négociation, mais ce fut bien plus rapide que ça), c'est finalement le conglomérat Gulf 
Charles Blühdorn (centre) avec sa femme (à gauche) et
Francis Ford Coppola (à droite) sur le tournage de
The Godfather (Le Parrain).
& Western Industries
, un véritable pionnier du secteur possédant la Paramount Pictures depuis 1966, qui remporte la mise. En fait, cette transaction ne s'est pas faite d'un coup de baguette magique. David Rosen entretenait déjà d'excellentes relations avec le PDG de Gulf & Western Industries, Charles - affectueusement appelé Charlie - Blühdorn, qu'il a connu lorsqu'il a déménagé temporairement les bureaux de SEGA à Hong-Kong (après s'être également essayé à Hawaii). SEGA passe ainsi sous le "joug" des américains en 1969. Le trio de l'ancien Service Games, Martin Bromley, Dick Stewart et Ray Lemaire, part en Espagne pour fonder la société Segasa et ainsi toucher plus directement le marché européen. Grâce à ce double-appui, SEGA traverse le début des années 70 avec une forme étincelante. Le marché est constamment abreuvé de multiples bornes, parfois très originales. C'est le cas de Jumbo, en 70, qui vous "met aux commandes" d'un éléphant devant utilisant sa trompe pour faire entrer la balle - suspendu par un système d'air - dans des trous prévus à cet effet. Dès 1972, SEGA innove en incorporant un concept de projection vidéo à l'intérieur de ses bornes. Par exemple, avec Killer Shark (qui apparaît subrepticement dans le film Les Dents de la Mer de Steven Spielberg), le requin est animé grâce à un système de diapositives diffusées via une petite bobine. Au Japon, c'est un Love Tester qui voit le jour. Au fil des mois, la firme s'adapte à son public et lance de nouveaux concepts. 




Le règne du flipper et l'arrivée du jeu vidéo 


Dès 1973, inspirée par le succès phénoménal de PONG de Nolan Bushnell, SEGA lance son propre clone : Pon-Tron, suivi peu de temps après (quelques mois) de Pon-Tron II jouable à deux joueurs. Les années suivantes sont plus calmes, mais SEGA profite de 1976 (second semestre) pour changer son logo, jugé obsolète. C'est celui que l'on connaît aujourd'hui, avec son bleu traversé par des lignes blanches. Il apparaît sur les bornes Plinker's Canyon ou encore SEGA Tracer. C'est à cette période que les bornes électromécaniques disparaissent petit à petit. En revanche, l'activité flipper (lancée en 71), quant à elle, fonctionne à plein régime. Il s'agit d'une période faste pour le constructeur. Négociations, créations, ventes... tout se passe calmement chez SEGA, désormais sous l'égide de Gulf & Western Industries. Malgré tout, la révolution électronique et l'émergence
des jeux vidéo n'est plus qu'une question de temps. En 1978, le concurrent historique de SEGA, Taito, lance Space Invaders. Aujourd'hui encore, son nom résonne dans toutes les têtes. Ce jeu de tir fait un véritable carton et contraint SEGA à trouver une nouvelle solution pour tenter d'exister face à ce mastodonte. 

Pour se renforcer, SEGA fait l'acquisition de Gremlin Industries (rien à voir avec Gremlin Interactive) et donne ainsi naissance à l'entité SEGA/Gremlin ou plutôt Gremlin/SEGA dans un premier temps. Cette firme, située à San Diego, est à l'origine de plusieurs titres emblématiques tels que Frogs (l'ancêtre de Frogger), Digger ou encore Zaxxon. C'est d'ailleurs cette dernière borne qui verra le logo SEGA/Gremlin. En effet, dans l'Arcade Express daté de 1982, David Rosen explique que ce nom composé porte à confusion et qu'il est dans l'intérêt de la société de changer. Dès 1982, SEGA/Gremlin devient SEGA Electronics. Ce début des années 80 représente un véritable tournant pour SEGA. C'est ce que David Rosen appelle la phase 4 de l'histoire de SEGA. En 1983, le 20 février très précisément et à l'âge de 56 ans, Charles Blühdorn, PDG de Gulf & Western, meurt d'une crise cardiaque. Dès lors, plus rien ne sera comme avant. Alors qu'il est pourtant entré dans le board de la Paramount (grâce à Blühdorn), l'entrepreneur se retrouve dans une impasse. Le remplaçant de Charles Blühdorn, David Judelson, revend toutes les filiales hors-médias et demande à David Rosen de trouver un groupe d'actionnaires pour racheter SEGA. Le krach du jeu vidéo de 1983 est passé par là et les investisseurs de Gulf & Western n'ont plus confiance. Tandis que les actifs américains de SEGA sont vendus à Bally Manufacturing Corporation, David Rosen se met en quête d'une solution pour la maison-mère japonaise, qui représente tout de même la bagatelle de 38 millions de $. C'est là qu'intervient un certain Hayao Nakayama

Ainsi apparaît "l'empereur" 


Hayao Nakayama, Président d'Esco Trading
avant de devenir PDG de SEGA au Japon.
Hayao Nakayama a été élevé à la dure et a même été obligé (par son père) à s'essayer à la médecine alors qu'il n'éprouvait aucun intérêt pour ce cadre d'activité. Après avoir abandonné son cabinet médical, il décide de se lancer dans les affaires. Toutes les personnes qui ont pu le croiser gardent le souvenir d'un homme monté sur piles et affichant parfois un certain égo. C'était en fait sa manière de se protéger et bon nombre d'interlocuteurs se rappelle du ton autoritaire de ce drôle de personnage au grand cœur (il reversait une partie de sa fortune à une fondation venant en aide aux enfants défavorisés). Hayao Nakayama est un dur, un vrai de vrai, qui s'est fait connaître aux États-Unis grâce à son extraordinaire sens de la négociation et son anglais des plus corrects lui valant un certain respect. Sa société, Esco Trading (ou Esco Boueki, mais j'ai un gros doute quant à la bonne orthographe japonaise), créée en 1968, est un partenaire de taille pour SEGA (elle distribue et répare des bornes d'arcade). En 1979, David Rosen fait l'acquisition de Esco Trading. Son Président, Hayao Nakayama, continue de gérer son entreprise qui fait désormais partie intégrante de SEGA (pour l'occasion, il devient Vice-président de SEGA). En 84, lorsqu'arrive le grand chamboulement post-krach du jeu vidéo, Gulf & Western Industries, par le biais de son PDG David Judelson, pousse David Rosen à trouver un groupe d'actionnaires. C'est en toute logique que l'américain se tourne vers des partenaires de confiance. Esco Trading en fait forcément partie. Avec d'autres investisseurs japonais, David Rosen rachète SEGA au conglomérat américain Gulf & Western Industries, au prix de 38 millions de $. On est alors en mars de l'année 1984 et Hayao Nakayama, actionnaire majoritaire, prend les rênes de SEGA. David Rosen, quant à lui, prend la direction de la filiale américaine de SEGA. En 1984, Isao Okawa, PDG du conglomérat japonais CSK Corporation, entre dans le capital de SEGA (dans le but de renforcer la petite entreprise sur ses terres), qui redevient SEGA Enterprises, Ltd. Le siège social est érigé, comme un symbole, à son adresse historique de Haneda. Dès lors, SEGA peut entrer dans la ronde des géants du jeu vidéo. 


Quand les profits ont continué d'augmenter dans les années 80 à 82, j'ai été très préoccupé par la santé économique de l'industrie. J'ai senti que les règles financières étaient ignorées et que cette extension sauvage du marché allait nous conduire à une faillite. Lors d'une réunion importante, organisée par SEGA, avec les représentants de l'industrie, j'ai tenu un discours révélant le probable scénario d'un désastre à une échelle conséquente si rien n'était fait dans la façon de gérer notre business. 

David Rosen 

Sources : 

Sega Retro : http://segaretro.org 
Japan Arcade Mania (p.19) 
Wikipedia Gulf & Western Industries 
Atari Age : http://atariage.com 
The Ultimate History of VideoGames (Steven L. Kent, p. 340, 341) 
La saga des jeux vidéo (Daniel Ichbiah, p. 112, 113) 

Plus loin : 

Interview de David Rosen (en français) :
Première partie de l'Histoire de SEGA : http://www.terredejeux.net/2014/08/lhistoire-de-sega.html

1 août 2014

Raconte-moi SEGA (1ère partie)

Autant être clair, je m'attaque à un véritable mastodonte. Pourtant, cela fait plusieurs années que j'attends une véritable "Histoire de SEGA", autrement dit un bouquin qui retrace l'existence étonnante de cette société qui nous a tant fait rêver (et qui continue à le faire mais de manière plus sporadique). Malheureusement, les années passent et on ne voit strictement rien venir. Certes, il y a des livres qui existent en anglais mais rien n'est disponible en français, alors que nous sommes très nombreux à réclamer ce type d'ouvrage. En attendant de pouvoir, peut-être, en faire quelque chose un jour (le publier ou le proposer à un site internet, avec un système d'onglets et de chapitrages), voici l'Histoire de SEGA. Découpée en plusieurs parties, car cela demande un travail considérable, j'espère qu'elle vous plaira. Celle-ci, surtout au départ, est tellement complexe qu'il se peut qu'il y ait des informations erronées. J'ai en tout cas tout fait pour que la véracité de celles-ci soit sans faille, tout en utilisant mon expérience acquise lors de l'écriture de l'Histoire de Sonic (aux Editions Pix'n Love) ou de mes activités dans la presse du jeu vidéo. Bonne lecture !


RACONTE-MOI 




Réaliser un historique précis de SEGA n'est pas une mince affaire. Là où Nintendo est capable de revisiter chaque date de son existence avec une précision rare,  c'est loin d'être le cas pour la société d'origine hawaïenne. Même ses plus hautes instances s'y perdent. L'une des franchises déposées en 2012, SEGA Heritage, fait état d'une création en 1951 tandis qu'un rapport financier de la même année se risque carrément à placer la conception de la firme en 1960. Autant dire qu'il s'agit d'un véritable bric-à-brac, complexifié par la fibre américano-japonaise qui circule dans les entrailles de l'entreprise. Si SEGA ne peut se targuer  d'être aussi ancestrale que Nintendo, les prémices de son histoire remontent néanmoins aux années 1930. Et non pas du côté japonais, mais aux États-Unis. Pour tout comprendre, il faut s'intéresser au parcours atypique d'un homme : Irving Bromberg.


Irving Bromberg (à droite) et son fils, Martin Bromley.
En s'appuyant sur les archives américaines, on découvre que ce dernier est né à la toute fin du XIXème siècle, précisément en 1899. A l'adolescence, il développe un vrai goût pour les affaires et devient Président de la Greenpoint Motor Car Corp. à seulement 24 ans. Le marché automobile est alors en plein essor et se développe de manière spectaculaire. Dès 1930, lassé par une concurrence acharnée, Irving Bromberg décide de changer de voie et s'essaye à la fabrication et à la vente de distributeurs (de boissons, nourriture, cigarettes, etc.). Son activité, Irving Bromberg Co., s'étend de Brooklyn à Boston en passant par Washington D.C. Durant cette période, faste mais aussi difficile (police corrompue et mafia omniprésente profitent de La Prohibition, où toute boisson alcoolisée est strictement interdite), les citoyens aiment profiter de ces petits moments de liberté. Bromberg en est tout à fait conscient et fonde Standard Games Co. à Los Angeles en 1934. Il sera l'un des pionniers dans la distribution des premiers jukebox sur la côte Ouest. Dans la continuité de ce qu'il a réalisé avec son ancienne société, Irving Bromberg s'intéresse désormais aux machines à sous. Pour occuper les soldats stationnés aux quatre coins du pays, le désormais quadragénaire livre les bases américaines les plus importantes, dont celles de Pearl Harbor. Son fils, Martin Jerome Bromberg (appelé Marty, ou Martin Bromley), échappe de peu à la mort le 7 décembre 1941. Un temps destiné à la Marine, il est finalement employé sur les chantiers navals de la célèbre base américaine. On peut imaginer que les relations de son père n'ont pas été vaines.

 Sa fille, Lauran Bromley, se souvient de ce qui lui racontait son père, Martin Bromley : "Mon père était à Hawaii quand les Japonais ont attaqué Pearl Harbor. Il a couru entre les machines à sous. Quand ils ont attaqué Pearl Harbor, il y avait une note sur l'une des machines qui disait : "En cas d'une autre attaque, jetez-vous sous cette machine, elle n'a pas encore été touchée." 

Cet épisode tristement célèbre va avoir un impact considérable chez les deux hommes (mais aussi dans l'Histoire de SEGA). Martin Bromley, conscient d'avoir beaucoup de chance (plus de 2 400 hommes et femmes périssent lors de l'attaque de Pearl Harbor), quitte l'armée afin de se lancer dans le business. Tout naturellement, il rejoint son père Irving Bromberg et, ensemble, ils font évoluer la société Standard Games Co. qui devient simplement Standard Games. En 1945, tous les deux s'associent à James Humpert pour donner encore plus de poids à la société Standard Games qui devient Service Games. La société s'installe à Honolulu, capitale de l'État d’Hawaï. Pour gagner de nouveaux marchés, l'entreprise familiale diversifie son activité dans les machines de divertissement (jukeboxes, flippers, machines à sous...), en fournissant avant tout les bases militaires américaines. L'activité fonctionne à plein régime (il faut bien que les soldats s'occupent dans leur temps libre) durant cette période amère de l'histoire mondiale. Si James Humpert a pu obtenir la confiance de Irving et Martin, c'est aussi et avant tout parce que Martin et lui-même ont travaillé ensemble sur les chantiers de Pearl Harbor. Ils sont donc amis et aspirent tout simplement à une vie meilleure. De nombreux textes stipulent que Service Games est née en 1940 mais un document officiel, qui n'est autre que le permis d'exploitation du Territoire d'Hawaii, révèle que la société fut créée en 1945. Par ailleurs, sur internet, on peut croiser la date de 1951 (même SEGA utilise cette date dans son concept du "SEGA Heritage", c'est dire !) pour la création de Service Games mais c'est une erreur. En effet, ce tract (une trouvaille fabuleuse du site Sonic Retro) ci-dessous date d'avril 1949 et on peut y lire le nom de la société et son emplacement, alors situé à Honolulu. 

Daté d'avril 1949, ce tract invitant à un "peep-show" prouve que Service Games existe bel et bien avant 1951. Même l'adresse des premiers bureaux est présente. (Source : SONIC RETRO)

Le duo qui va tout changer


Quelques années passent. En 1951, deux hommes d'une importance capitale, entrent dans la boucle. Deux américains, Raymond J. "Ray" Lemaire et Richard D. "Dick" Stewart fondent l'entité Lemaire & Stewart. Spécialisée dans l'importation, la distribution et la maintenance de juxebox, la petite entreprise travaille de concert avec Service Games (Irving Bromberg laissant peu à peu les rênes de la firme à son fils et à James Humpert). Cette année-là, une terrible nouvelle vient frapper les trois compères. Une loi interdisant l'exploitation des machines à sous sur le territoire américain entre en vigueur et pousse Martin Bromley et Irving Bromberg à racheter tout le stock des machines confisquées par le gouvernement. Ce pari, qui peut sembler totalement déraisonné, est une porte de secours pour l'avenir.  Puisque le gouvernement empêche la vente et l'utilisation de machines à sous sur le territoire américain, Service Games va contourner le problème en fournissant les bases américaines présentes... sur le territoire japonais.

En février 1952, Martin Bromley propose à Ray Lemaire et Dick Stewart d'aller s'installer au Japon pour promouvoir et développer les ventes des machines à sous (ainsi que flippers et jukebox) marquées du sceau Service Games. A cause de la nouvelle loi, la société Lemaire & Stewart se retrouve dans l'impasse. Alors que les deux hommes s'envolent pour le pays du Soleil Levant, la marque "Lemaire & Stewart" est absorbée définitivement par Service Games. En mai 1952, Martin Bromley rejoint Lemaire et Stewart au Japon pour créer une filiale nippone de Service Games. Finalement, dans son souhait d'ouvrir son entreprise au marché asiatique, la loi américaine tombe à point nommé. Il faut dire que la Guerre de Corée fait rage et que de nombreux militaires américains sont présents dans cette zone du monde. L'île japonaise d'Okinawa est alors occupée par les Américains. C'est aussi durant cette année-là que Service Games (également appelée Nihon Goraku Bussan sur le sol nippon, à l'origine il s'agit d'une entreprise japonaise qui signe un partenariat avec Martin Bromley et qui est avalée par Service Games) se tourne vers l'Europe de l'Ouest et l'Angleterre.

L'homme de la providence


L'une des rares photos d'époque de David Rosen.
C'est tout le temps cette dernière qui ressort sur internet.
En 1954, un ancien officier de l'Armée de l'air américaine, David Rosen, fonde Rosen Enterprises, Ltd au Japon. Il s'agit d'une société spécialisée dans la création de portraits (des artistes dessinent des portraits à partir de photos qu'ils revendent ensuite aux personnes intéressées par le concept). Seulement voilà, les résultats sont plus que mitigés. Les studios de photos sont nombreux et il faut deux, voire trois jours pour obtenir les photos, ce qui pose de vrais problèmes de réactivité. Voyant que la situation n'évolue pas, il décide de passer au plan B. Ou plutôt de faire confiance à la première idée qu'il a eu en s'installant au Japon (et qu'il avoue avoir piqué à un autre) : l'importation de photomatons, qu'il distribue alors sous le marque Photorama / Nifun Shashin. A cette époque, les photos d'identité sont d'une importance capitale, les gens en ont besoin pour l'école, pour les rationnements de riz fourni à la population ou encore les cartes de transport ferroviaire. Proposer des photos instantanées pour un prix dérisoire est synonyme de carton assuré. Arrivé au Japon en 1949, ce grand gaillard tombe amoureux du pays. En 1952, il retourne quelques temps aux Etats-Unis (à New York précisément, afin de compléter son diplôme et développer son idée) et revient s'installer définitivement. Sur place, il s'éprend d'une belle japonaise, Masako Fujisaki, qu'il l'épouse en 1954.

" Il y a deux personnes qui ont un rôle primordial dans l'ouverture et la distribution des machines à sous au Japon. Dick Stewart et Ray Lemaire sont arrivés au Japon en 1952. En se partageant un bureau de la taille d'une chambre, ils sont parvenus, en partant de zéro, à monter une opération d'envergure destinée aux bases militaires américaines. Ils ont appelé la société Service Games. Dès le départ, ils ont élargi leur activité de jukebox au marché japonais, avec plus de 5 000 locations. Pour répondre à la demande, ils ont installé des succursales dans chaque ville majeure du Japon. A cette époque, il y avait deux sociétés, Nippon Goraku Bussan et Nippon Kikai Seizo, qui ont fusionné en une seule. La société a une infrastructure d'entreprise extraordinairement bien développée, et comme mon entreprise, elle avait pris le meilleur des deux cultures : le Japon et les Etats-Unis réunis. C'est avec cette société, nommée SEGA, que j'ai fusionné Rosen Enterprises Ltd."
David Rosen

" Photorama est un concept qui a eu un tel succès qu'il m'a permis, pendant une courte période, de créer plus de cent emplacements dédiées à ces photomatons. Il n'était pas rare, à différents moments de l'année, notamment pour la rentrée scolaire, que les queues soient si importantes. On pouvait alors attendre entre une heure et une heure et demi !"
David Rosen

En 1955, Irving Bromberg et Martin Bromley se retirent petit à petit en vendant leurs parts respectives de la société à Sam Stern, un homme qui s'est spécialisé dans la distribution de flippers. Avec l'argent obtenu, ils achètent les parts à James Humpert qu'ils revendent ensuite à ... Ray Lemaire et Dick Stewart au Japon. Service Games disparaît totalement du côté américain. Pendant ce temps, Rosen Enterprises, Ltd fonctionne à plein régime. Néanmoins, David Rosen découvre que la société japonaise est en train de changer. Il y a un peu plus de temps pour les loisirs désormais (à l'inverse des années précédentes, où les Japonais travaillaient entre 6 et 6,5 jours par semaine !). Au Japon, le pachinko est le divertissement populaire numéro 1 et à côté de ça, il y a les pistes de danse, les bars ou encore les cabarets. Par élimination, David Rosen a alors une idée géniale : proposer des jeux de tirs mécaniques à la population nippone. Personne n'y est habitué dans le pays et cela peut être un second souffle pour l'entreprise qui souffre de la concurrence des photomatons. Son idée consiste alors à proposer d'anciennes machines à sous des Etats-Unis. Il les rachète pour une somme dérisoire, leur redonne un coup de neuf (voire les modifie) et les revend au Japon. C'est ainsi que Shoot the Bear, l'une des pièces les plus connues (de la société Seeburg), devient Bear Gun. Rien ne semble arrêter l'entrepreneur.

La première apparition de "SEGA"


En 1957, un tournant considérable intervient. Ray Lemaire et Dick Stewart décident d'élargir leur activité au grand public et non plus seulement aux militaires. Service Games devient Service Games Japan pour matérialiser le changement de politique. Désormais, les civils japonais sont également visés par les machines à sous. C'est à cette époque que ses employés japonais prennent l'habitude de contracter le nom Service Games  en ... SE-GA. Au fil du temps, cette contraction s'intègre à la culture même de l'entreprise, qui va jusqu'à utiliser le terme "SEGA" sur ses emballages. Cette histoire rappelle d'ailleurs un peu la fameuse Family Computer, renommée Famicom. Quoiqu'il en soit, il aura fallu attendre douze ans avant que le nom SEGA commence à apparaître, mais ce n'est que le début.


Photo absolument géniale débusquée par le site SegaKore. On peut y lire l'inscription Service Games sur les voitures de la société.


Trois ans plus tard, en 1960, Service Games Japan (qui n'a pas encore l'appellation officielle SEGA) est l'une des trois sociétés les plus importantes du Japon dans le secteur des machines à sous. Les deux autres sont le concurrent direct, Taito, mais aussi ce bon vieux David Rosen et ses bornes d'arcade qui cartonnent à travers le pays. De son côté, Service Games Japan, afin de ne plus être limitée à l'importation, ouvre sa première usine de conception de machines à sous : Nihon Kikai Seizo. Le but est simple, cet outil de production permet de faire des économies considérables, même si l'investissement est assez gigantesque au départ. C'est Ray Lemaire qui prend la direction de cette entité, tandis que son acolyte Dick Stewart dirige Service Games Japan (a.k.a Nihon Goraku Bussan). Quand on vous disait que ces deux-là étaient d'une importance capitale.


Le premier logo de SEGA est sobre et en rouge.
Les deux entités fonctionnent comme cela pendant deux ans, mais en 1964, afin de faciliter les démarches administratives et regrouper les activités, Service Games Japan (Nihon Goraku Bussan) et Nihon Kikai Seizo fusionnent pour former une seule et même entreprise :  Service Games Japan (ou le nom japonais Nihon Goraku Bussan). Dès 1965, Service Games Japan devient SEGA Enterprises, Ltd. Dans la foulée, David Rosen signe la fusion entre sa société, Rosen Enterprises, Ltd et SEGA Enterprises, Ltd. Les locaux sont alors situés à Haneda, dans la banlieue de Tokyo, non loin de l'aéroport international. En face, Taito n'en mène pas large face à un tel mastodonte. Machines à sous, machines d'arcade, SEGA Enterprises, Ltd. voit grand.  Le logo de SEGA n'a alors rien à voir avec celui que l'on connaît aujourd'hui. 



Le suite prochainement... 

Plus loin : Une longue interview de David Rosen, traduite de l'anglais et réalisée par Steven L. Kent. 


Pour vous y retrouver en quelques dates-clés (car ce n'est vraiment pas simple avec toutes ces fusions et ces personnes) :




1934 > Création de Standard Games Co. à Los Angeles par Irving Bromberg



1945 > Irving Bromberg et son fils, Martin Bromley, s'associent à James Humpert et fondent Service Games à Honolulu.



1951 > Service Games travaille de concert avec la société Lemaire & Stewart, créée par Ray Lemaire et Dick Stewart. Le premier s'occupe de la maintenance des machines à sous tandis que le second gère toute la partie commerciale.



1952 > Une loi interdisant les machines à sous sur le territoire américain pousse Service Games à prendre des mesures. Ray Lemaire et Dick Stewart exportent alors la société Service Games au Japon. 



1954 > David Rosen, un ancien officier de l'Armée de l'air américaine, fonde Rosen Enterprises, Ltd.



1955 > Martin Bromley et son père Irving Bromberg revendent leurs actifs de Service Games à Sam Stern, dont la société est spécialisée dans les flippers. Avec les fonds obtenus, ils rachètent les parts de James Humpert (le troisième associé lors de la création de Service Games sur le sol américain). 



1956 > Bromley et Bromberg revendent les parts obtenues par James Humpert à... Ray Lemaire et Dick Stewart, qui prennent alors les commandes de Service Games au Japon. La même année, David Rosen élargit son activité aux jeux mécaniques importés des États-Unis vers le Japon.



1957 > Service Games devient Service Games Japan ou Nihon Goraku Bussan (en japonais). La raison : l'entreprise s'adresse désormais à tout le monde et non plus seulement aux militaires. C'est cette année-là que les employés commencent à contracter Service Games en SEGA. La société finit par utiliser SEGA, plus rapide et facile à retenir, sur ces machines à sous, jukebox et autres flippers. 



1960 > Service Games Japan ouvre sa première usine : Nihon Kikai Seizo, elle est alors dirigée par Ray Lemaire. Dick Stewart, quant à lui, s'occupe de Service Games Japan. C'est cette année-là que sort le SEGA-1000, le premier jukebox domestique.



1964 > Nihon Kikai Seizo est absorbée par Service Games Japan. C'est le début de la fabrication des machines dites d'arcade. 



1965 > Service Games Japan, devenue officiellement SEGA Enterprises, Ltd. fusionne avec Rosen Enterprises, Ltd. 



1966 > SEGA Enterprises, Ltd sort l'un de ses premiers gros succès : Periscope.



1969 > SEGA Enterprises, Ltd est rachetée par le conglomérat américain Gulf & Western Industries.



1971 > SEGA Enterprises, Ltd se lance dans l'activité des flippers.



1972 > SEGA lance de nouvelles bornes, technologiquement épatantes. C'est le cas de Killer Shark, qui utilise des diapositives affichées par une bobine. 



1973 > Le succès de PONG pousse SEGA à sortir deux variantes : Pon-Tron et Pon-Tron II. 



1976 > L'ancien logo SEGA est remplacé par celui que l'on connaît aujourd'hui.



1978 > SEGA achète Gremlin Industries.



1979 > SEGA achète Esco Trading dirigée par Hayao Nakayama.



1982 > La marque SEGA/Gremlin devient SEGA Electronics.



1984 > David Rosen, Hayao Nakayama et d'autres investisseurs japonais rachètent SEGA à Gulf & Western Industries. Nakayama-san devient PDG de SEGA au Japon, tandis que Rosen s'occupe de la filiale américaine. CSK Corporation, un conglomérat japonais dirigé par Isao Okawa, entre dans le capital de SEGA. C'est aussi cette année-là que SEGA of Europe est créée.

" C'est à ce moment-là que nous avons décidé de fusionner. Et alors que nous réfléchissions au nom que l'on pouvait donner à la société, nous avons décidé que SEGA était le marque la plus connue. Nous avons juste pris Enterprises de Rosen Enterprises, parce que Rosen n'était pas une marque mais simplement un nom d'entreprise. C'est ainsi que le nom SEGA Enterprises, Ltd est devenu encore plus célèbre, et bien entendu l'entreprise s'est considérablement agrandie."
David Rosen


Sources : 
The Ultimate History of VideoGames ( p.332 - Chap.The Birth of SEGA)
Sonic Retro  : http://www.sonicretro.org/2012/09/sega-doesnt-know-their-own-heritage-film-at-11/
Service Games : The Rise and Fall of SEGA ( Chap. The Early Days)
Segasammy.co.jp : http://www.segasammy.co.jp/english/ir/individual/history_sega.html
SegaKore : http://www.segakore.fr/articles/veritable_histoire_sega.html
SEGA Retro : http://www.segaretro.org/
Interview David Rosen (Steven L. Kent) : http://web.archive.org/web/20120131000643/http://www.sadsamspalace.com/VideoGames/4-Rosen-Sega-story.html

L'Histoire de SEGA - Interview David Rosen


L'HISTOIRE DE 


INTERVIEW DAVID ROSEN

Cette interview n'est absolument pas de moi, elle a été réalisée par Steven L. Kent. C'est traduit de l'anglais, mais cela offre un angle très intéressant sur la naissance de SEGA, angle qui vient s'inscrire dans mon désir d'être le plus exhaustif possible dans l'écriture de l'Histoire de SEGA.

Interview originale, réalisée par Steven L. Kent, sur son ancien site, désormais inaccessible. D'où l'utilisation du site Web Archive pour retrouver la trace de l'interview.




Quand vous serviez l'armée américaine, étiez-vous au Japon ?

En Extrême-Orient en fait, et ça comprend le Japon. C'était avant et pendant la Guerre de Corée.

Vous vous souvenez des années précises ?

Je vais essayer parce que euh... Voyons, c'était au début des années 50 et ce fut la fin de l'administration Truman. Et bien sûr, MacArthur voulait aller en Chine. Donc, je vais dire que c'était au début des années 50. C'était entre 49 et 52. 

Vous étiez basé en Corée du Sud ?

Non, c'était dans le... en fait, j'étais dans une unité qui a voyagé un peu. J'ai commencé par Shanghai puis ensuite Okinawa. J'étais en Corée pendant la guerre, avant de retourner au Japon. Mais la plupart du temps, j'étais au Japon.

Et vous avez choisi de rester au Japon après être libéré de vos obligations militaires ?

Non, en fait je suis retourné à New York pour un court laps de temps. J'avais créé une société au Japon avant même d'être libéré de mes obligations militaires. Je suis retourné à New York en ayant l'intention de trouver un moyen de promouvoir mon activité aux États-Unis, tout en prenant des cours supplémentaires afin d'obtenir un diplôme. Et il s'est avéré que j'ai décidé de tout stopper et je suis retourné au Japon dès que j'en ai eu l'occasion.

Mais la société s'appelait déjà SEGA ?

Non, non, c'était une société que j'ai appelé Rosen Enterprises, Inc et... euh, non, excusez-moi, Rosen Enterprises, Ltd. Et ma première activité, assez étrangement, se résumait à de l'art ce qui était assez éloigné de la gestion habituelle des entreprises japonaises de l'époque. Dans ces années-là, l'économie du Japon était celle de l'après-guerre et par conséquent, il y avait beaucoup de chômage. Les artistes faisaient ce qu'on appelait de la "peinture de portrait". J'ai créé une entreprise qui faisait des portraits à partir de photos. Cette entreprise n'a pas vraiment fonctionné et les résultats furent assez mitigés.

Donc, vous n'êtes pas resté dans ce secteur d'activité j'imagine.

En fait, je suis retourné au Japon avec l'idée d'un autre, ma deuxième idée consistait en... En gros, à ce moment-là, les Japonais avaient un grand besoin de photos d'identité. Vous aviez quasiment besoin de photos pour tout : pour le cursus scolaire, pour les rationnements de riz, pour les cartes de transport ferroviaire et bien sûr pour l'emploi. Là, on parle des années 1953 et 1954, et les studios de photos demandaient dans les  250 yens l'unité et ça mettait environ 2 à 3 jours pour obtenir les photos. Et en fait, j'ai pensé aux photomatons que nous avions aux États-Unis, à 0,25 $ les 4 photos (à l'époque, c'était 0,25 $). On appelait ça les photomats.

Vous parlez des petites cabines de photos ?

Oui, enfin des petits stands, et ils ont été ensuite entièrement automatisés. En testant le concept, je me suis rendu compte que ce n'était pas vraiment approprié pour les photos d'identité, car après un ou deux ans, le film s'estompe. J'ai estimé que c'était surtout dû à un mauvais contrôle de la température. De toute manière, les machines ne contrôlaient pas la température et les gens se fichaient de savoir si la photo allait durer deux ans. C'est pourquoi, en faisant une étude, j'ai décidé que l'on pouvait mieux gérer cette notion de température, pour allonger la durée des photos sur plusieurs années, de l'ordre de 4 ou 5 ans. J'ai alors imaginé un système semi-automatique, avec quelqu'un installé dans une cabine à l'arrière du photomaton qui développe les photos à la bonne température.  

Vous avez utilisé des photomats ?

En fait, j'ai pris quelques machines assez anciennes qui étaient aux États-Unis et je les ai redesignées avant de les importer au Japon. J'ai appelé le concept "Photorama"et nous avons installé un premier duo de stands. Ce fut un grand succès. Il me semble que c'était de l'ordre de 150 à 200 yens niveau tarif, c'était moins que ce que réclamaient les photographes, et on pouvait obtenir les photos en deux ou trois minutes. En japonais, on a appelé ça Nifun Shashin, ce qui signifie en gros "votre photo en deux minutes !". Et Photorama était le nom de la marque. C'est devenu un tel succès que ça m'a permis, durant une courte période, d'installer pas moins de 100 stands de ce type à travers le Japon. Il n'était pas rare, à certains moments de l'année - notamment dans le cadre scolaire (on peut imaginer pour la rentrée ou avant les examens) - de faire une heure à une heure et demi de queue pour pouvoir faire ses photos !

Pour une photo de trois minutes ?

Pour une photo de deux minutes. Comme je l'ai dit, c'était un grand succès. Cela nous a aussi permis d'être plus impliqué dans le domaine civil, ce qui était très rare à l'époque. Il y avait peu d'étrangers qui pouvaient se targuer d'être impliqués dans ce type de marché.

Ca ressemble à l'édification d'un empire.

Oui, mais si les photomats ont été un grand succès, c'était au détriment des studios de photos. Cela affectait grandement leur activité, si bien qu'un jour, j'ai reçu un appel du Consulat Américain m'expliquant que mon activité était considérée comme une injustice américaine au cœur d'un petit secteur. A ce moment-là, j'ai décidé de travailler sur ce que je crois être la première franchise du Japon. J'étais d'accord pour proposer le système que j'avais inventé à quiconque voulait l'utiliser. En clair, on fournissait le film sur la base d'une franchise et ils pouvaient ainsi utiliser les stands Photorama, etc. Je ne me souviens plus du nombre exact mais on a ouvert plus de 100 studios franchisés. Et comme c'est souvent le cas, la concurrence a étudié le concept et il a été reproduit par d'autres personnes. Et finalement, la concurrence a fait rage et nous avons fermé cette division quelque part au début des années 60.

Mais le Japon était aussi protectionniste qu'il ne l'est maintenant ?

Je ne suis pas vraiment d'accord avec cette affirmation, que ce soit maintenant ou à l'époque. Le Japon n'a jamais été contre les entreprises étrangères. C'est vrai que les mesures administratives étaient draconiennes et très strictes mais cela ne concernait pas uniquement les entreprises étrangères. Ce qui est intéressant, cependant, c'est que le Japon n'utilisait pas du tout de dollars à l'époque. Si vous vouliez importer un produit du Japon - là, on parle des années 50 - il fallait demander une licence. Et cette licence, il fallait l'obtenir via le MITI,  le Ministère du Commerce et de l'Industrie. Sans cette licence, que vous soyez une entreprise japonaise ou non, vous ne pouviez rien importer. Ces licences existaient en trois catégories : les produits de nécessité absolue, les produits non indispensables et les produits de luxe. Je peux vous garantir qu'importer des produits de luxe était quasi impossible, car le gouvernement ne voulait pas dépenser de l'argent pour ce type de produits. Maintenant, ce qu'il s'est passé, c'est que la Guerre de Corée a été très bénéfique pour l'économie japonaise. Le Japon a pu bénéficier du soutien militaire américain. Et comme les militaires étaient situés très près du Japon, géographiquement parlant, tous les achats passaient par le Japon. Ce fut une vraie bouffée d'oxygène pour l'économie japonaise.   

Et à quel moment vous êtes-vous intéressés aux machines de divertissement ?

Cela devait être aux alentours de 1956 ou 1957. Je me suis rendu compte, pour la première fois, que les Japonais avaient des revenus plus souples. Pour la première fois, depuis bien longtemps, il y avait un temps pour les loisirs. Ce que je veux dire par là, c'est qu'au milieu des années 50, genre 54,55, la plupart des entreprises japonaises fonctionnaient à plein régime et les employés travaillaient au moins six jours par semaine, voire six jours et demi dans les petites entreprises. Cela ne laissait vraiment pas beaucoup de temps pour les loisirs. Si vous étiez chanceux, vous pouviez espérer passer au moins une bonne nuit afin de profiter d'un sommeil réparateur.

Et puis, en 55,56 et 57, il y a eu une sorte de déclic, les gens avaient un peu plus de temps, des revenus plus confortables et je me suis dit que c'était le bon moment pour tenter ma chance dans le secteur du divertissement. L'idée des machines d'arcade est venue par élimination. Au Japon, ce qui cartonnait, c'était le pachinko. Les gens aimaient aussi danser et se rendre dans les bars et les cabarets. Mais aucune de ces activités ne les impliquaient réellement. C'est là que j'ai pensé : "bon sang, mais bien sûr, les machines d'arcade !"



En clair, des jeux électro-mécaniques ?

Ce n'était que des jeux électromécaniques à l'époque. Même les flippers électriques étaient activés mécaniquement. Tout était électromécanique. J'ai donc fait une étude rapide et je me suis rendu compte que tous les fabricants, sans exception, étaient basés à Chicago. Ils avaient chacun des distributeurs et sortaient environ 4 à 6 jeux par an, ainsi que des flippers. C'était vraiment une industrie moribonde aux États-Unis, dans le sens où le marché stagnait et n'évoluait pas. Je suis retourné aux États-Unis pour jauger les jeux qui étaient les plus à même de conquérir le cœur des Japonais et je suis allé voir le MITI (Ministère du Commerce et de l'Industrie) pour obtenir la fameuse licence. (vous savez, pour importer les jeux d'arcade au Japon).

 Vous pouviez donc importer des produits de luxe ?

J'ai eu un produit de luxe et il m'a fallu plus d'un an d'efforts et de discussions pour les convaincre que c'était quelque chose de bénéfique pour le Japon et les loisirs de la population. J'ai réussi à obtenir une autorisation à hauteur de 100 000 $ ce qui signifiait que je pouvais acheter et importer de la marchandise d'une valeur de 100 000 $. Donc, je suis retourné aux États-Unis avec l'idée d'acheter des machines d'arcade. Les Japonais avaient un vrai affect pour la chasse et le tir, donc j'ai embarqué pour près de 100 000 $. Chaque jeu m'a coûté en moyenne dans les 200 $. Seulement voilà, les taxes au Japon, étaient de l'ordre de 200% ! Comme en plus, le CIF (Cost, Insurance and Freight, autrement dit le coût, l'assurance et le fret) entrait en compte, de nouvelles taxes d'expédition des marchandises venaient se greffer aux autres. Dès le début, les machines d'arcade ont connu un énorme succès. Et pour jouer à l'époque, il fallait débourser environ 20 yens (le taux de change était d'environ 360 yens pour 1 $). Mon activité s'est développée et m'a fait connaître aux États-Unis. La plupart des distributeurs me contactaient car ils possédaient du matériel d'occasion qui n'avait aucun avenir et leurs entrepôts étaient pleins.

Et quels jeux étaient les plus populaires auprès des Japonais ?

Les jeux qui avaient la plus grosse demande et qui étaient très bons sont assurément les jeux de tir avec des pistolets à air comprimé.

Ceux de Allied Leisure ?

Non, c'était avant que Allied Leisure existe. Je pense qu'il s'agissait de ceux de Seeberg. Par la suite, j'ai ouvert diverses salles d'arcade à travers tout le Japon. Je me souviens, nous enlevions le caisson de la machine, tout en conservant les mécanismes et on concevait un environnement de jungle, avec des arbres et ce genre de choses. Nous pouvions prendre une borne, nous cachions les mécanismes et tout ce que vous pouviez voir, c'était l'ours qui court à travers la jungle ou le raton-laveur qui monte et descend les arbres.

Et là, l'entreprise a décollé ?

Nous avons été chanceux. Grâce à l'expérience acquise avec les cabines Photorama, nous avons entretenu d'excellentes relations avec différents studios de cinéma, notamment la Toho ou encore la Shurusheko, de sorte qu'ils nous ont ouvert des espaces de location. Et notamment la Toho, qui nous a proposé un espace dans chacune de leurs salles de cinéma. Je ne me souviens plus du nombre de bornes que nous avons entreposé mais lorsque j'ai quitté le Japon, il n'y avait pas une ville dans tout le pays qui n'avait pas l'un de nos jeux. A cette époque, il nous restait environ un an et demi à deux ans avant que d'autres entreprises comprennent notre fonctionnement et se mettent à en faire de même. Et bien évidemment, des sociétés ont commencé à importer des jeux et sont devenues des concurrentes. Les deux sociétés les plus impliquées étaient Taito (dirigée par un homme appelé Mike Kogan) et une autre entreprise appelée Service Games - le nom japonais était Nihon Goraku Bussan.

Mike Kogan, le Russe ?

Oui le Russe. Il est décédé depuis... (durant un voyage d'affaires en 1984), un très bon ami. Et l'autre société était dirigée par des Américains. La taille de la division jukebox de Taito était à peu près équivalente à celle de leur future département de machines d'arcade. Nihon Goraku Bussan, quant à elle, avait un très, très gros catalogue de jukebox, sans doute plus important que celui de Taito. Et en plus, ils avaient une usine. Ils ont fabriqué des machines à sous qu'ils revendaient à l'armée, pour les militaires. C'était vraiment une entreprise très importante. En tout cas, Taito et Nihon Goraku Bussan travaillaient essentiellement dans le secteur des jukebox et elles sont entrées progressivement dans le secteur des machines d'arcade, en fournissant de petites localités.

Une question rapide. Désolé de vous interrompre. Vous deviez payer environ 1000 $ pour récupérer une machine d'arcade aux États-Unis et la faire livrer au Japon ?

Probablement dans les 600 ou 700 $.

Et vous pensiez obtenir combien de recettes avec une seule machine ?

Et bien, c'est gênant de le dire mais les bénéfices apparaissaient en moins de deux mois. C'est un peu comme un siège de cinéma ou d'avion, cela dépend de l'occupation que vous en faites et du temps qu'il est utilisé. Vous pouviez par exemple mettre 1 $ dans une machine, mais si elle n'est utilisée que dix fois par jour, vous n'obtenez que 10 $. Tout ce qui fait la vente est le temps que l'utilisateur passe sur la machine. Et les nôtres étaient constamment utilisées. Ce que je veux dire, c'est qu'elles l'étaient du matin au soir. Autant dire que le rendement était excellent.

Quand et comment êtes-vous devenu SEGA ?

Au début des années 60. Comme je l'ai mentionné plus haut, les deux entreprises, Taito et Nihon Goraku Bussan, étaient de bons amis. Certes, elles étaient concurrentes, mais nous n'avions aucune animosité et nous nous entendions bien. En 1964, peu de temps avant d'entrer dans l'année 1965, je suis entré en pourparlers avec Nihon Goraku Bussan dans l'optique d'une fusion. Elle était de loin la plus grand entreprise en matière de jukebox. Ils avaient également la propriété de leurs propres biens ainsi qu'une usine. SEGA était leur nom de marque.

Donc, Nihon Goraku Bussan est bien l'entreprise SEGA originale ?

Nihon Goraku Bussan était SEGA dans le sens où il s'agissait de leur nom de marque. A ce moment-là, nous avons décidé de fusionner. Et en cherchant un nom pour l'entreprise, on a tout simplement décidé de conserver SEGA, qui était une marque connue puisqu'il s'agissait de leur nom de marque. On a récupéré le mot "Enterprises" de Rosen Enterprises, Ltd., car Rosen n'était pas un nom de marque, juste une entreprise. Et c'est là qu'est née SEGA Enterprises, Ltd. Et la société est devenue encore plus importante évidemment. Je suis devenu PDG après la fusion. Je suppose que, dans un sens, cela peut s'apparenter à la seconde phase de la vie de SEGA. La première phase est selon moi celle avec les deux sociétés (Nihon Goraku Bussan et l'usine de production, Nihon Kikai Seizo) et leurs racines (américano-japonaises).

A quel moment avez-vous commencé à produire vos propres jeux ?

En 1960, peut être 1961, nous importions de nouveaux jeux. Nous avons remarqué qu'il n'y avait pas beaucoup de nouveautés dans ce que nous proposions. Tout au plus, les changements étaient d'ordre visuel. Le but du jeu avait beau changer, tout comme le caisson, les jeux restaient tous les mêmes. Le secteur des machines d'arcade allait de mal en pis aux États-Unis et notre survie passait par le développement de nouveaux équipements. Nihon Goraku Bussan avait l'usine. Ils avaient les ingénieurs. De mon côté, j'avais aussi des ingénieurs et quelques idées de jeux. Nous avons décidé que c'était le bon moment pour passer à l'action. Tout est parti de Chicago. En 1966, nous avons conçu notre premier jeu que nous avons appelé Periscope. Si vous parlez aux vieux de la veille de cette industrie, tous vous diront que cette borne a été un tournant historique dans le secteur du divertissement. C'était un jeu très simple., vous deviez tirer sur les navires (qui avançaient via un système de chaîne), à travers un périscope.

Un peu comme le tir aux canards dans les fêtes foraines ?

Quelque chose qui s'y apparente oui. Nous avions un océan simulé par du plastique, et on avait des lumières qui traversaient l'océan et le joueur devait lancer la torpille afin d'atteindre les navires. Cela paraît très simple aujourd'hui et ressemble à ce qu'on pourrait trouver chez Toys'R US. Mais à l'époque, c'était quelque chose de révolutionnaire. Bien sûr, il y avait de bons effets sonores lorsque la torpille touchait le navire et la borne comptabilisait vos points (soit le nombre de navires coulés). Vous aviez cinq tirs par partie. Nous avons conçu cette borne pour le Japon et ce fut un énorme succès. Le succès fut tel que, d'une certaine manière, les distributeurs européens et américains ont voyagé jusqu'au Japon pour découvrir la borne. Nous n'avions pas pensé à l'exportation en construisant cette borne. C'était un peu comme un jeu de construction, que nous avons modifié. Finalement, nous avons commencé à exporter la borne mais le prix était environ deux fois plus cher que n'importe quelle machine d'arcade aux États-Unis. De 695 ou 795 $, on passait à 1 295 $ ! Les distributeurs se sont plaints 'Nous savons que c'est une super borne mais on ne peut pas payer 1 295 $ !'. Du coup, on leur a répondu de la façon suivante : "Vous savez, c'est très simple, vous mettez la partie à 0, 25 $ et on vous garantit que vous rentrerez dans vos frais". C'est le prix qui a été indiqué aux États-Unis. Et c'est ce qui a lancé SEGA dans le commerce d'exportation.



Plusieurs dirigeants de société de jeux japonais ont eu des problèmes avec les Yakuza. Ce fut aussi votre cas ?

C'était plus un problème pour eux que pour nous. En fait, nous n'avons jamais eu de problèmes avec eux.

Vraiment ? Pensez-vous qu'il vous laissait en paix parce que vous étiez américain ?

Euh, certainement. Je me souviens de quelques évènements, dont l'un dont nous ne savons pas tout. Nous avions ouvert un stand Photorama dans une zone appelé Irakusho, qui était très importante pour l'industrie du divertissement, comme Ginza est au shopping. Ce que nous ne savions pas, c'est que l'on devait rendre hommage aux locaux, euh, dirons-nous...

Shogun ?

Appelez-les comme vous voulez. J'hésite à citer un nom mais on leur devait du respect et leur expliquer notre business. Seulement, nous ne l'avons pas fait... simplement, par ignorance de la chose. Dans ce cas particulier, nous n'avions pas réalisé que ce clan était très à cheval sur ces valeurs. Résultat, ils nous ont envoyé des émissaires pour leur faire part de leur mécontentement. Nous avons donc fait nos excuses et nous avons expliqué que nous étions une société étrangère et que nous ne savions pas. Mais pour répondre à votre question, non. Je veux dire par là que nous n'avons eu aucun problème. Et je pense que c'est probablement parce que nous étions des étrangers. Après Periscope, en sachant que nous avions le talent pour concevoir des jeux de qualité, nous sommes devenus très prolifiques. Je ne sais plus exactement combien de jeux nous sortions à l'année, mais c'était de l'ordre de 8 à 10 par an. Et chacun de ces produits étaient ensuite exportés. Et pour la première fois, les distributeurs de Chicago ont compris que nous étions à même de concevoir de beaux jeux et qu'il résidait une industrie capable de toucher les joueurs américains.

Mais vous avez pourtant stoppé l'exportation des jeux plus tard ?

Le jeu qui a fait déborder l'eau du vase, c'est un truc que nous avions construit je crois... C'était vers la fin des années 60, peut-être 1969, un jeu appelé Jet Rocket. Dans cette borne, nous avons introduit un grand nombre de nouveaux éléments : différents types de sons, de multiples effets spéciaux, etc. Nous avons conçu des prototypes afin de les présenter à certaines personnes (les bornes devaient être testées avant d'être commercialisées) et c'est évident que la borne allait être plus chère que d'habitude. A notre insu, alors même que nous avions eu quelques signaux d'un de nos fabricants, les trois manufactures principales de Chicago ont laissé tomber le jeu. Dès lors, à cause de cet évènement, nous avons estimé que nous n'avions plus besoin du marché d'exportation. Nous avons alors cessé l'exportation pendant quelques années.

SEGA a ensuite été acheté par Gulf & Western. Comment cela s'est produit ?

Nous avons estimé qu'il était temps pour nous de passer dans le domaine public au Japon. Bien que j'ai passé beaucoup de temps à négocier avec une société de sécurité, il y avait de nombreux paramètres qui rentraient en compte. Tout d'abord, nous aurions été la première entreprise étrange à passer dans le domaine public après la Seconde Guerre Mondiale. Ensuite, ça serait la première fois qu'une entreprise du secteur du divertissement passe dans le domaine public. Il y avait trop d'obstacles. Nous avons alors décidé que nous devions faire quelque chose pour sortir l'entreprise du Japon et nous avons sondé les entreprises américaines que nous pouvions acheter, les entreprises publiques - ou privées que nous pourrions rendre publiques - et peut être fusionner avec ces différentes firmes. Dans le même temps, nous avons assuré nos arrières en souscrivant auprès d'une société de sécurité jouant le rôle de fond d'investissement. Ils ont alors fait une étude et ils sont revenus vers nous en disant qu'il était préférable de nous faire acheter : "Vous savez, plutôt que d'acheter une entreprise, faites-vous racheter car il y a plusieurs grandes entreprises américaines qui seront intéressées par SEGA". Dès lors, nous avons changé de position et nous avons exploré cette piste.
J'ai donc un de mes partenaires qui a passé du temps pour rencontrer diverses entreprises intéressées par nous. L'une d'entre elles se nommait Gulf & Western Industries. Je ne sais pas si vous êtes familier avec les histoires de conglomérat de la fin des années 60, mais c'étaient les grandes années des conglomérats. Gulf & Western était l'un des pionniers en matière de conglomérat. Ils nous ont montré un vrai intérêt et nous avons signé un accord en 1969. Nous avons alors vendu SEGA Enterprises, Ltd à Gulf & Western. SEGA Enterprises, Ltd est devenue une filiale et une propriété de Gulf & Western. (David Rosen restait PDG de SEGA Enterprises).

Et quand avez-vous rompu ce conglomérat ?

A un moment, des choses ont évolué dans le management de Gulf & Western. Charlie Bludon, le PDG, est décédé. En 1983, ils m'ont demandé si j'étais intéressé pour racheter SEGA ou réunir un groupe d'acheteurs afin de le faire. C'est ce que j'ai fait. Avec Mr. Nakayama et Mr. Okawa, nous avons racheté SEGA à Gulf & Western en 1984. Ce qui peut s'apparenter à la phase 4 de la firme.

A quel moment SEGA s'est-elle lancée dans le jeu vidéo ?

SEGA a été impliqué dans les jeux vidéo, mais je ne peux pas vous donner l'année. Mais c'était certainement très peu de temps après que ce média ait vu le jour.

Donc, époque de Pong ? Début des années 70 ?

 Certes, nous importions ce type de jeux dès le premier jour. Ensuite, nous avons débuté la production d'autres versions de ce jeu.

A quel moment SEGA s'est intéressée aux consoles de salon et pourquoi la société a eu des difficultés au Japon ?

Malheureusement, la Master System a été lancée, peut être un an et demi ou deux ans, après celle de Nintendo et il y avait une véritable culture Nintendo au Japon. C'étai très difficile de lancer une technologie similaire au même moment.

Mais vous avez pourtant lancé la console en même temps que celle de Nintendo aux États-Unis?

Non. C'était en Europe. Je pense que nous avons lancé les deux machines pratiquement à la même époque sur le sol européen, car Nintendo a convaincu le marché japonais, puis ils sont allés aux États-Unis et enfin en Europe. Avec la technologie 16 bits, nous étions les premiers sur le marché et c'est ce qui nous a grandement aidé à reconquérir ce marché.

La Master Sytem était pourtant supérieure à la NES techniquement ?

Très sincèrement, en toute équité, il n'y avait pas de différence fondamentale entre les deux machines.

Et quel est votre rôle chez SEGA désormais ?

Je suppose que mon rôle est proportionnel à mes cheveux gris. Plus j'en ai, moins je suis actif. Principalement, je suis évidemment, enfin je ne devrais pas dire évidemment, j'ai toujours un siège au Conseil d'Administration et j'agis en tant que consultant et conseiller au Japon. Et quand l'occasion se présente, je tente de résoudre ce qui ne va pas. Et bien entendu, je détiens un nombre important d'actifs chez SEGA. En ce qui concerne Nakayama, c'est un très bon ami que j'ai intégré à l'entreprise à la fin des années 70. Il avait une société qui s'appelait Esco Trading, qui était principalement spécialisée dans la distribution. C'était un distributeur. Il était assez connu aux États-Unis en raison de son "agressivité" sur le plan commercial et son assez bonne connaissance de l'anglais. J'ai acquis son entreprise pour obtenir son management. C'était probablement en 78, 79.

La Saturn n'a pas marché aussi bien que les gens l'avait espéré.

En fait, la Saturn a très bien marché au Japon. C'est même remarquable compte tenu des forces contre qui elle a dû lutter. Il ne fait aucun doute que Sony était un concurrent très sérieux. Et il va sans dire que les tiers (studios de développement) ont sauté dans le wagon Sony. En dépit de cela, SEGA a tout même tenu la marée au Japon. Si mes chiffres sont bons, le marché était d'environ 50/50 au Japon. C'est, je pense, un exploit. On en dit finalement peu sur la Saturn. Aux États-Unis, Sony a lancé sa machine en 95 et la plupart de leurs rapports financiers ont dépassé SEGA, mais il faut bien comprendre qu'il y a eu plusieurs facteurs aggravants. Tout d'abord, le prix inférieur a joué contre nous et il va sans dire que le marché est sensible au prix. C'était donc un très point pour eux. Ensuite, ils ont eu la chance d'avoir un très grand nombre de jeux quand ils ont lancé leur console.

David Rosen quitte SEGA le 15 juillet 1996, par soutien de Tom Kalinske qui déposa sa démission la veille. Je n'ai pas la date exacte de l'interview mais il semblerait que ce soit dans le courant de l'année 1996, ce qui paraîtrait logique. Il est aujourd'hui âgé de 84 ans et vit à Los Angeles. 

A bientôt pour la suite de l'Histoire de SEGA !