Le Making Of de SEGA Rally

SEGA Rally demeure l'un des jeux les plus emblématiques de SEGA. Aux côtés de Virtua Fighter ou Virtua Cop, il s'agit d'une borne d'arcade qui a traversé les années sans la moindre ride ou presque. Il n'est pas rare aujourd'hui de la recroiser régulièrement. Derrière ce jeu de course fantastique se cache une histoire étonnante, qui a livré de nouveaux éléments lors des deux dernières années. Sans la hargne de Tetsuya Mizuguchi, nous n'aurions peut-être jamais touché à ce titre démentiel. (A lire également sur JVN.COM)

Raconte-moi... SEGA Rally



Ce n'est un secret pour personne. Durant les années 32 bits, la PlayStation a littéralement dévoré la concurrence, se transformant en rouleau-compresseur pour les malheureuses 3DO, Jaguar ou encore Saturn. SEGA a bien tenté de lutter avec les moyens du bord, mais l'ogre SONY fut un adversaire redoutable. Aussi, l'Europe et les États-Unis ne laisseront que des miettes à la firme de Haneda. Au Japon, la confrontation Saturn/PlayStation sera plus équilibrée, sans faire vaciller l'hégémonie de l'inventeur du walkman. Pourtant, malgré son échec, la Saturn reste une machine extraordinaire, avec de nombreux jeux de qualité. SEGA Rally en fait incontestablement partie et son histoire mérite vraiment le détour. Transfuge de l'arcade et adapté sur Saturn, ce titre demeure, encore à ce jour, l'un des meilleurs jeux de rallye de tous les temps. Direction les années 90 !

A l'orée de l'année 1994, SEGA voit grand, très grand. Alors que les productions maison continuent de faire des ravages en arcade et dans les salons, le constructeur nourrit de fortes ambitions. A cette époque, le Mega CD n'est là que depuis quelques mois sur le marché français (septembre 1993) et la firme prépare activement l'arrivée future du 32X, une extension permettant de booster les capacités de la Mega Drive, mais aussi et surtout de la Saturn. Véritable console 32 bits, elle est celle qui doit faire passer SEGA dans une nouvelle dimension. En coulisses, plusieurs titres d'envergure sont en préparation : Panzer Dragoon de la Team Andromeda mais aussi Clockwork Knight, un jeu d'action-plateforme prévu pour le lancement. Dans les locaux, plusieurs réunions ont lieu pour définir la stratégie de développement de la société. Rapidement, quelques personnes émettent le souhait de réaliser un nouveau jeu de voiture pour les salles d'arcade, avec une possible tentative de conversion Saturn par la suite. Une simulation automobile ? Voilà qui n'a rien d'original. Pour comprendre, il faut se remettre dans le contexte du moment. A cette époque, dès qu'on parlait d'un jeu de voiture, les hautes instances des différentes sociétés faisaient le rapprochement immédiat avec la Formule 1. Yu Suzuki, pour ne citer que lui, ne voulait pas faire un titre comme Virtua Racing. Il souhaitait avant tout réaliser un jeu de rallye, mais la technologie ne lui permettait pas d'atteindre un résultat décent. Il s'est donc "résigné" à suivre la demande de la maison-mère. Ainsi est né Virtua Racing. 

De Blade Runner au rallye

En ces temps reculés, Tetsuya Mizuguchi (futur développeur de REZ, Meteos, Lumines, Child of Eden...) est un jeune premier dans l'industrie vidéoludique. Sa seule expérience réside dans la conception d'une machine d'arcade dernier cri : la Megalopolis SEGA AS-1. Destinée aux Joypolis (des parcs à thèmes estampillés SEGA), il s'agit d'une prouesse technologique. Montée sur vérins hydrauliques, cette borne reproduit des séquences en images de synthèse avec une ambiance à la Blade Runner. L'utilisateur virevolte à travers les immeubles pour un résultat spectaculaire, réalisé en collaboration avec le réalisateur américain Michael Arias. Le succès est sans appel et permet à Tetsuya Mizuguchi de gagner quelques gallons au sein de la société. Pour son futur projet, l'homme voit plus grand et s'entoure donc de 11 personnes. il sait que SEGA compte sur lui pour fédérer de nombreux fans. L'objectif est de réaliser un grand jeu de voiture en arcade, avec l'hypothèse de le porter sur Saturn. Le créateur étudie la question et dresse un constat édifiant : SEGA Corporation se tourne beaucoup trop vers le marché américain et oublie d'autres pays. Difficile de le contredire, puisqu'au même moment, un certain Daytona USA (faisant référence au circuit américain éponyme) vient de débouler dans les salles d'arcade. Le jeu est excellent et s'intéresse aux courses de Nascar, mais le Japonais souhaite s'ouvrir à un autre continent, en l'occurrence l'Europe.



Inspiration européenne

Conscient du challenge qui l'attend, mais destiné à produire un jeu différent (pas question de faire concurrence à Daytona USA), il s'envole pour le vieux continent. Sur place, Tetsuya Mizuguchi s'entretient avec des émissaires de SEGA France et de SEGA Italie afin d'élargir ses pistes de réflexion. C'est en suivant la télévision anglaise qu'il tombe sur une course de rallye. Il reste happé et comprend que c'est un genre parfait pour toucher le public européen (mais aussi japonais). Malgré cela, il sait que la tâche est terriblement difficile. Réaliser un jeu de rallye demande des ressources considérables (supérieures à celles réclamées pour un jeu de F1). Dans un premier temps, il réfléchit à des étapes façon "Paris-Dakar" avec des camions, mais il se rend compte qu'il fait fausse route. Ce sont, par nature, des véhicules un peu plus lents et surtout plus lourds. Il se renseigne sur les pratiques en matière de rallye et jette son dévolu sur les courses de type WRC (World Rally Championship). Cette compétition est parfaite pour être adaptée dans le cadre d'un jeu vidéo, car elle permet de voyager dans des contrées variées, tout en proposant des véhicules ressemblant à ceux de "Monsieur Tout le Monde". Satisfait et pressé de prévenir son équipe sur ses intentions, il rentre à Tokyo en étant motivé comme jamais.

La désillusion

Au Japon, il se heurte à sa Direction. Personne n'est en mesure de comprendre le souhait du jeune créateur. Comme il le révèlera plus tard : "A l'époque, de nombreux jeux de rallye existaient mais il ne s'agissait que de titres typés "Paris-Dakar". Ce que je voulais, c'était concevoir un jeu de course WRC et ils n'ont strictement rien compris à ce que je leur proposais". Voilà qui montre que les dirigeants peinent souvent à prendre des risques. C'est vrai aujourd'hui, ça l'était hier. Refroidies par la proposition, les hautes instances de SEGA tentent alors de changer le cap de leur jeune créateur. Ce dernier ne s'en laisse pas compter et leur propose de revenir avec une démo quelques jours plus tard. En compagnie de Kenji Sasaki (futur Directeur de SEGA Rally), il conçoit un film d'environ 3 minutes, avec l'intégration de multiples paysages tirées de différentes productions cinématographiques. En agissant de la sorte, le Japonais veut démontrer tout le fun qu'on peut ressentir en traversant des lieux aussi variés, tout en basant la caméra sur l'œil du pilote. Une fois le prototype terminé, il le présente à ses dirigeants. Ceux-ci sont impressionnés... mais souhaitent, une nouvelle fois, que les courses s'effectuent sur des circuits ovales. Mais accepter cette condition serait mettre un terme au projet. Après des heures de négociations, Tetsuya Mizuguchi parvient (enfin) à obtenir le feu vert : SEGA Rally peut naître !

Audace et témérité

Avant de s'attaquer à l'élaboration technique du jeu, Tetsuya Mizuguchi souhaite frapper fort en proposant des véhicules sous licence. Bien qu'il soit conscient de la difficulté, il n'hésite pas à prendre la direction de la maison-mère de Toyota. Sur place, malgré son jeune âge et son manque d'expérience, il ne s'en laisse pas compter et débute des négociations avec le responsable des relations presse de la firme automobile. Problème : les dirigeants de Toyota détestent les jeux vidéo et la collaboration s'annonce alors mal embarquée. Mais le jeune créateur a prévu cette éventualité et sort de sa sacoche une cassette vidéo. Il s'agit d'un prototype en 3D du futur jeu et l'impact est immédiat. Les responsables de Toyota sont scotchés et leur discours de base n'est plus du tout le même. Est-ce que ça leur fait changer d'opinion pour autant ? Que nenni, ils ont bien du mal à imaginer leurs voitures dans un jeu vidéo. Insupporté par la situation mais pas abattu, Tetsuya Mizuguchi décide de prendre l'avion pour l'Italie et débarque au siège de Lancia. Sur place, il procède de la même manière. Il présente la cassette vidéo, explique le concept du jeu et les possibles retombées d'une telle collaboration. Cette fois, les Européens sont séduits (différence de mentalité sans doute) et le jeune homme repart avec le contrat en poche. Une véritable arme de guerre pour la suite des négocations. En effet, il faut comprendre, à cette époque, que Toyota est en concurrence directe avec Lancia dans les compétitions de rallye automobile. La lutte fait rage et Tetsuya Mizuguchi connaît l'importance de ce sport pour les deux constructeurs. Confiant comme jamais, il retourne chez Toyota et révèle le fameux contrat signé avec Lancia. Stupéfaits, les dirigeants de Toyota signent sans attendre le deal avec SEGA. Il n'est pas question pour eux que Lancia leur grille la politesse ! Très malin, le jeune homme est parvenu à obtenir le soutien des deux constructeurs qui survolent les rallyes automobiles mondiaux.

Pacific Coast Rally

Dans un premier temps, les développeurs se penchent sur l'intégration des véhicules dans le jeu. Plusieurs réunions ont lieu afin de déterminer quelle voiture se doit d'apparaître. Du côté de Lancia, c'est tout naturellement que l'équipe se focalise sur la Lancia Delta HF Integrale 16V, véritable championne dans sa catégorie. Pour Toyota, en revanche, le choix est plus complexe. En fait, les créateurs du jeu hésitent entre deux modèles : la Supra et la Celica (GT-Four ST205). C'est finalement cette dernière qui remportera les suffrages, car considérée comme plus maniable et aussi classe. Après maintes efforts, le développement semble en bonne posture et Pacific Coast Rally devient un projet très solide. Pacific Coast Rally ? Il s'agit du nom donné à la production avant que cette dernière ne le transforme en SEGA Rally. Selon Tetsuya Mizuguchi, ce nom était plus adapté à un jeu où il est question de piloter des voitures sous licence dans des circuits totalement fictifs. L'inspiration, en revanche, est bien réelle. L'équipe a pris l'avion pour se rendre à San Francisco. A partir de là, ils ont filmé et photographié des lieux célèbres comme la Vallée de la Mort, Mexico, San Luis Obispo sans oublier le mythique Parc de Yosemite. Au total, ce sont des centaines de clichés et de films qui ont été rapportés dans les locaux, afin d'être utilisés pour le développement. Pour la version arcade, plusieurs circuits sont préparés : Desert, Forest et Mountain. L'inspiration est évidente si on se réfère aux différents lieux cités plus haut. Dans les années 90, les jeux de course ne possèdent pas beaucoup de circuits, et SEGA Rally ne déroge pas à la règle. Trois pistes et pas une de plus. Bien que tournant sur la carte d'arcade Model 2, le jeu du département AM #5 aurait pu être encore plus spectaculaire. En effet, les créateurs voulaient une piste enneigée mais le rendu ne leur convenait pas. Trop peu réaliste à leur goût. 3D temps réel, textures de qualité, sensations extraordinaires (voire pour certains inégalées), musiques qui dépotent... SEGA Rally est un jeu culte, passionnant à parcourir et dont la marge de progression est tout simplement énorme. La version arcade, développée par l'AM #5, sera adaptée par l'AM #3 sur Saturn. Et comme nous allons le voir, celle-ci va être à l'image de son homologue : indispensable !



Ambitions revues à la baisse

Avant même le début du développement en arcade, SEGA avait émis le souhait de l'adapter sur sa future console de salon. Mais pour cela, il a fallu attendre les premières retombées des salles enfumées... et le succès fut tel que la conversion s'est imposée naturellement. Dirigée par Ryuichi Hattori, celle-ci ne pouvait se faire qu'à travers une équipe expérimentée. Durant le développement, la version Saturn était encore plus belle que le résultat final. Les textures étaient affinées et le nombre de polygones étaient bien plus importants. En contrepartie, l'animation souffrait énormément, si bien que l'équipe a dû trouver un juste milieu, tout en travaillant très dur pour obtenir un rendu proche de ce qu'elle désirait. Le compromis fut de bloquer le tout à 30 images/seconde, tout en livrant des graphismes de grande qualité. Evidemment, le résultat n'est pas aussi spectaculaire qu'en arcade, mais le rendu reste prodigieux. La conversion Saturn a également le mérite de proposer un circuit et une voiture inédite. Ainsi, c'est la Lancia Stratos qui a été sélectionné pour rejoindre le casting des véhicules déjà disponibles. Cette "bombe" (selon Tetsuya Mizuguchi) a remporté un suffrage auprès des joueurs et c'est tout logiquement qu'elle a été ajouté. Elle est très rapide, mais comme il s'agit d'une propulsion arrière, elle a tendance à sous-virer très rapidement. Pour la contrôler à la perfection, il faut donc beaucoup d'entraînement. A l'inverse des autres bolides du jeu, la Stratos est une deux-roues motrices et reste difficile à manœuvrer. Une bombe en ligne droite, mais qui demeure très peu adapté au dernier circuit : Lake Side. Cette piste aux couleurs automnales est aussi magnifique que redoutable. Les virages sont serrés et on dénombre très peu de lignes droites. Pour
l'emporter et terminer sur la première place du podium après quatre courses, c'est loin d'être évident. Mais SEGA Rally, par toutes ses qualités, ne lasse jamais. On en redemande encore et il faut reconnaître que les autres opus de la série n'ont jamais atteint cette maniabilité absolument incroyable. Les musiques très pêchues sont toujours aussi efficaces (surtout sur Saturn avec le support CD) et le mode en écran splitté est très fun. SEGA Rally demeure un mythe, une pépite, y compris pour les non-spécialistes de course automobile (ce qui est le cas de votre serviteur). La prochaine fois, on s'intéressera au cas de SEGA Rally 2, une suite hallucinante sortie sur Model 3 et adaptée sur Dreamcast. D'ici là, jouez bien et restez connectés sur Terre de Jeux !

Pour écouter l'O.S.T complète :
 http://www.youtube.com/watch?v=Q0xMiY6mYyk&list=PL8E5516B88B57BBA8

Quelques anecdotes supplémentaires

- 780 000 - C'est le nombre d'exemplaires de SEGA Rally écoulés sur Saturn. C'est le second jeu le plus vendu sur la console noire de SEGA après Virtua Fighter 2 (qui culmine à plus de 3,5 millions de pièces vendues).

- 12 000 - C'est le nombre de bornes écoulées par SEGA.

- Une autre version de SEGA Rally existe au Japon. Elle s'apelle SEGA Rally Championship Plus et ajoute un mode en ligne via le modem de la console (non disponible en Europe). Cette mouture est également compatible avec le pad analogique de la Saturn (développé dans le cadre de Nights into Dreams).

- Le "Game Over.... Yeaahhh" (prononcé lors du Game Over) est l'œuvre de Takenobu Mitsuyoshi, qui n'est autre que le compositeur de la version arcade. 

- SEGA Rally est sorti en arcade puis converti sur Saturn et PC. Il existe même un SEGA Rally Championship sur Game Boy Advance et N-Gage.

Sources : Maximum n°3, Giantbomb, Mobygames, Games TM
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