De "Try Hard Trilogy" à Die Hard Trilogy


1996, Cheltenham. Cette station thermale du comté de Gloucestershire accueille des journalistes venus des quatre coins de l’Europe. C’est en effet dans cette ville de 100 000 habitants que Probe Entertainment (anciennement Probe Software) a élu domicile. Le studio est à l’origine de nombreux titres et adaptations basés sur des licences cinématographies et de cartoon. On leur doit notamment des productions aussi variées qu’Alien 3, Alien Trilogy, Retour vers le Futur III, Batman Forever, Primal Rage, l’Incroyable Hulk ou encore Daffy Duck in Hollywood. Autant de jeux qui mettent en scène des personnages célèbres. Mais ce jour de 1996, la presse spécialisée découvre un titre incroyable du nom de Die Hard Trilogy. Cette production au rythme haletant s’inspire du triptyque cinématographique de John McLane et met en avant non pas un type de gameplay, mais carrément trois ! De l’action-shooter en vue à la troisième personne, un rail-shooter façon Virtua Cop et enfin une course contre-la-montre à bord d’un taxi fonçant à travers les rues de New York. Le cocktail 3 en 1 est si explosif et réussi que les journalistes, une fois rentrés dans leurs rédactions respectives, ne tarissent pas d’éloges. Si vous avez vécu cette époque, vous avez forcément vu ces dizaines de previews dans les magazines. Die Hard Trilogy a vraiment tout changé. Pour comprendre d’où vient ce titre et pour s’immerger dans les coulisses complètement dingue de ce développement cataclysmique, nous allons repartir en 1994.

DeLorean c’est à toi !


Fergus McGovern, le boss de Probe est satisfait. Alors que le développement d’Alien Trilogy suit son cours, il vient d’obtenir les droits pour adapter le dernier film de la série des Die Hard : Une Journée en Enfer. La relation que le studio a noué avec la Twentieth Century Fox porte ses fruits, mais l’histoire aurait pu prendre une autre tournure. Dans une interview accordée àEdge Online, Fergus McGovern reconnaît que la première demande de la Fox concernait l’adaptation d’un show TV appelé Scavengers. Mais le programme fut un tel four que celle-ci fut annulée très rapidement. Comme la Fox avait dépensé des sous, elle a décidé d’utiliser ces fonds pour adapter le dernier film de la trilogie Die Hard. Mais Fergus veut aller plus loin. Quitte à adapter cette licence prestigieuse, autant exploiter la totalité des long-métrages, soit trois films. Rien de tel pour frapper un grand coup !




La peur dans les yeux



Maintenant que les documents sont signés, Fergus McGovern doit trouver l’équipe capable de réaliser le jeu. A cette époque, un grand nombre d’employés travaillent sur Alien Trilogy. C’est LE jeu du studio, celui qui doit être amené l’entreprise vers les sommets. Et forcément, les meilleurs programmeurs et les développeurs chevronnés sont sur l’adaptation du xénomorphe. Fergus tente alors un coup de poker en allant voir de jeunes programmeurs, Simon Pick et Dennis Gustafsson. Ces derniers se souviennent : “C’était effrayant. Fergus est arrivé dans le bureau en disant ‘Les gars, on a la licence Die Hard, vous pensez faire quoi avec’ ?” La raison de cette crainte est fondée : aucun des deux hommes n’a l’expérience de la 3D. Pire, à cette époque, la PlayStation (ou plutôt le prototype de l’architecture quasi finale de la future machine) n’est pas encore en magasin et il n’y a donc aucune référence, aucun modèle de jeu pour s’appuyer sur quelque chose d’existant. Ce qui va les sauver, c’est l’équipe n’aura pas une pression aussi intense que sur un titre comme Alien Trilogy.



Travail à l’aveugle


Pour mener à bien le développement, la petite équipe établit un cahier avec les idées possibles et réalisables. Avec un planning de 18 mois, chaque seconde compte. Mais un problème majeur vient se greffer dès le début du développement : l’équipe n’a absolument pas le script du film Une journée en Enfer et s’essaye à différents prototypes, notamment un mélange de poursuite et de tirs dans des tunnels souterrains. Forcément, licence oblige, la Fox veille au grain et ce que les pontes du studio américain découvrent ne leur convient pas du tout. Sans retenue, ils demandent alors à Simon Pick et aux siens de revoir la copie dans sa globalité. C’est à ce moment que l’équipe imagine un jeu divisé en trois parties distinctes, sans s’imaginer à quel point la tâche va être abominable à gérer. A ce moment, l’équipe ne regroupe aucun ténor du milieu et leur jeunesse pointe le manque d’expérience. Simon Pick n’hésite pas à reconnaître que cette ambition était surtout là pour impressionner le patron. Une telle production demande trois fois plus de travail que n’importe quel autre jeu de l’époque. Heureusement, les prototypes vont être réutilisés et l’équipe va parvenir à trouver la cohérence en imaginant un concept redoutable. Mais l’inconscience de la jeunesse et le fait que l’équipe d’Alien Trilogy était constamment mise en avant (professionnels chevronnés, meilleurs outils, suivi constant…) va pousser la team de Die Hard Trilogy à se surpasser.




Un véritable casse-tête



Les débuts sont cataclysmiques. Comme l’explique Simon Pick au site Edge Online, les outils à disposition ont plus tendance à créer des problèmes qu’à en résoudre. L’équipe se rend compte que l’utilisation de grands buildings dans la partie dédiée à Une Journée en Enfer (la course contre-la-montre) n’est pas exploitable. Pour corriger le problème, les programmeurs intègrent de petits blocs qui peuvent être générés aléatoirement en fonction de la progression du joueur. Le problème, c’est qu’une telle application implique des tonnes de calculs qui conduisent irrémédiablement à des erreurs. Face à de tels bugs, il faut absolument tout retravailler à la main : une vraie purge ! A cette époque, l’ambition du jeu est telle que quelques personnes de l’équipe d’Alien Trilogy surnomme le projet “Try Hard”. Plus les jours passent et plus Simon Pick et Dennis Gustafsson rencontrent des soucis. L’une des plus grosses difficultés résident dans la modélisation des personnages. Pour combler le manque d’expérience, les membres de l’équipe conçoivent des sprites qu’ils étirent et redimensionnent à l’échelle du jeu. Si le rendu apparaît correcte avec la motion-capture, il faut tout de même reconnaître que les personnages sont carrément déformés. Voyant que le résultat peine à convaincre, Simon Pick et les siens vont alors trouver une idée géniale : plaquer des photos de leurs propres visages ! A cette époque, Fergus McGovern rentre tout juste du Japon et rapporte avec lui l’un des premiers appareils photos numériques au monde. Celui-ci servira à photographier chaque membre de l’équipe, soit huit photos sous différents angles pendant que la personne est assise sur une chaise. Le rendu, très particulier (il faut relancer le jeu pour le croire, les modèles sont totalement déformés, c’est presque drôle), a valu aux personnages du jeu d’être surnommés “les hommes boulettes de viande”. C’est un peu à ça qu’ils ressemblent : à une sorte de grosse tambouille. L’autre information croustillante concerne la motion-capture. A l’époque, Probe est l’un des rares studios en Europe à disposer des outils pour motion-capturer mais il n’a pas de studio dédié à cette application. Par conséquent, pendant plusieurs après-midi, toute l’équipe se retrouve dans une église de Cheltenham et installe des caméras aux différents coins de la bâtisse. Pour les acteurs, Fergus McGovern a carrément recruté deux personnes de la BBC. Elles se retrouvent bardés de capteurs (en fait, il s’agit de véritables balles de ping-pong) dans une combinaison ultra moulante. C’est dans ces moments-là qu’on aimerait être une souris : ) A noter que des séances de motion-capture ont aussi eu lieu dans les locaux de Probe dans un petit hall préparé pour l’occasion mais aussi dans un gymnase (on peut le voir dans les vidéos du making of).

Sur les rotules

A une semaine de la fin du développement, l’équipe est complètement cuite. Le travail est si intense que Simon Pick est à deux doigts de la dépression nerveuse. Bien que la production touche à sa fin, l’équipe n’en peut plus et ne veut plus entendre parler de Die Hard Trilogy. Mais la passion et l’amitié entre les membres (ils se rendaient souvent au pub ou au restaurant et ils ont créé de vrais liens d’amitié) a été au dessus de tout. A sa sortie, Die Hard Trilogy est acclamé par la presse, là où Alien Trilogy (pourtant LE jeu du studio Probe à l’époque, bien plus suivi et soutenu) reçoit quelques critiques. Die Hard Trilogy marquera à jamais l’ère 32 bits. Le plus triste dans cette histoire, c’est que Probe Entertainment n’a pas vu un centime des royalties. En effet, Acclaim n’avait pas réglé la Fox pour d’anciens jeux (notamment des titres Simpsons et Alien) et ils ont profité de l’argent récolté pour combler leurs dettes. Et puisque l’histoire devait forcément mal se finir, la Fox a approché Probe pour créer la suite Die Hard Trilogy 2 mais tous les membres du premier opus ont quitté la société pour fonder un autre studio, Picture House. Une décision que regrette amèrement Simon Pick aujourd’hui, puisque le jeu de Picture House, Terracon, sera loin de faire l’unanimité, essuyant même de lourdes critiques. Il ne verra d’ailleurs le jour qu’en Europe après que Midway ait annulé la sortie US. Mais comment leur en vouloir ? Ils étaient si éreintés après le développement du premier Die Hard Trilogy qu’ils voulaient découvrir d’autres horizons. La prochaine fois que vous lancez Die Hard Trilogy (le jeu est disponible sur PlayStation, Saturn et PC), pensez-y ! Non seulement ce jeu est d’une ambition hallucinante pour l’époque mais, en plus, il a permis à nombre de jeux (Drive notamment) de s’en inspirer.


Et maintenant, voici un véritable moment de vie. Ces vidéos, récupérées par Dennis Gustafsson en 2007 (par chance et par hasard), plonge le spectateur dans les coulisses du développement. L’occasion de revenir, en vidéo, sur tout ce qui a été dit dans le texte mais aussi d’en apprendre beaucoup, beaucoup plus. Un moment exceptionnel ! On se rend compte des idées qui ont été totalement enlevées du jeu, notamment l’utilisation de multiples types de véhicules.


 
 
 
 
 
 

Et voici assurément la plus belle musique de tout le jeu, celle qui est la plus marquante :




Sources : Eurogamer.net / Edge Online / PlayStation Magazine (US, UK, FR) / Youtube

Article également paru sur www.joypad.fr

1 Commentaires

  1. A l'origine, je devais capturer mes vidéos maison pour ce dossier, mais mon HD PVR 2, avec la Saturn, perd étrangement le signal de la télé. Si bien que j'ai une image sur le PC mais sur le téléviseur, j'ai un saut d'image aléatoire toutes les 5/10 secondes, ce qui rend la capture absolument impossible. Je vais voir pour ressortir mon premier HD PVR avec lequel je n'avais pas de problèmes particulier pour les consoles avec câbles composite.

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