The Making of Shenmue : la création du jeu culte de la Dreamcast

Printemps 1995. Yu Suzuki profite d’un moment de répit pour poursuivre l’élaboration de son prototype. Le géniteur des plus grands hits d’arcade de SEGA a une idée derrière la tête. Virtua Fighter est devenue une licence forte de la marque et le Japonais sait qu’il peut se servir de cet univers pour développer un jeu de rôle révolutionnaire. Pétris d’ambition, l’homme et son équipe tentent un premier essai : The Old Man and the Peach Tree (le vieil homme et le pêcher). Le programme, construit avec quelques algorithmes, relate l’histoire de Taro. Ce dernier recherche un certain Ryu, maître de kung-fu capable de lui enseigner son art. Le titre, prévu sur Saturn, prévoit l’exploration d’un monde ouvert avec la résolution d’énigmes. A 37 ans, Yu Suzuki n’a plus rien à prouver et pourtant, il est sur le point de donner naissance à une œuvre qui va cristalliser l’industrie du jeu vidéo pendant près de deux décennies.


Alors qu’il supervise l’adaptation Saturn de Virtua Fighter 2, Yu Suzuki réfléchit à la suite à donner à sa carrière. Lui qui a toujours œuvré pour des jeux d’arcade, dont la moyenne de jeu ne dépasse pas les trois minutes, aspire à de nouvelles sensations. Depuis le début des années 90 et son voyage en Chine, l’homme a dans l’optique de réaliser un RPG qui aille au-delà des clichés à la japonaise. Plus de liberté, de l’interaction avec un monde organique, un système de dialogues optimisé… le créateur ne recule devant rien. Insupporté par le gameplay archaïque des jeux de rôle nippons (il n’aime pas la marche des personnages quand ceux-ci sont collés à un mur ou l’obligation de se placer devant un PNJ pour dialoguer), il imagine alors une histoire qui prend place dans les années 50 à Luoyang, l’ancienne capitale chinoise. Inspiré par un voyage en Chine datant de 93, le récit The Old Man and the Peach Tree bouleverse tout ce qui se fait dans le jeu vidéo d’alors.

« Un homme, qui semble être un maître d’arts martiaux, se prélasse au soleil. Taro, qui est le personnage du joueur, demande à l’homme s’il connaît Maître Ryu. Le vieil homme lui indique alors qu’il n’a qu’à ramener une pêche pour obtenir la réponse. Donc, la première partie de la quête consiste à trouver un pêcher. Il y a un pommier non loin d’eux. Taro ne peut pas atteindre la pomme, alors il emprunte un bâton à l’un des gardiens et cueille la pomme qu’il donne aussitôt à l’homme. Mais ce dernier lui explique à nouveau qu’il veut manger une pêche. Et il se met en colère. A partir de là, je vais gagner du temps et couper le milieu de l’histoire. A la fin, des enfants sont réunis autour de l’homme et l’encouragent. Taro s’approche tranquillement et une scène cinématique in-game commence. Le vieil homme fait des ricochets sur un lac. Chaque fois que la pierre touche la surface de l’eau, elle assomme un poisson. Les poissons flottent littéralement à la surface de l’eau. Les enfants sont si heureux d’avoir des poissons pour le dîner. L’homme est parvenu à toucher deux ou trois poissons avec une seule et unique pierre. Après avoir assisté à un tel spectacle, Taro est certain qu’il s’agit en fait de Maître Ryu. Voilà, c’est le genre d’histoire que l’on retrouvait dans le jeu. Ceci est devenu la base du jeu. »


Un prototype et rien de plus


Yu Suzuki admet qu’il ne joue pas souvent aux jeux vidéo et que ses seuls souvenirs de RPG remontent aux années 80. Ses recherches sont donc basées sur les jeux qu’il connaît et sur les premiers jeux de rôle du début des années 90, notamment Final Fantasy, Dragon Quest, etc. Loin de ces standards, The Old Man and the Peach Tree a un scénario et une mise en scène (rien n’a été montré mais on peut deviner la scène) en décalage total avec son époque. Pourtant, ce prototype a permis à toute l’équipe de jauger les capacités de la Saturn et de la pousser à bout : graphismes entièrement en 3D, gestion des collisions et du clipping (affichage tardif des décors), contrôle des personnages et de la caméra, suivi et cohérence des évènements et énigmes, dialogues… autant dire que la 32 bits en a vu de toutes les couleurs. Au cours de sa carrière, il n’a eu de cesse de faire des essais et de tenter des paris. Par exemple, à l’origine, After Burner ne ressemblait absolument pas à une simulation de chasseur aérien, mais plus à un shoot de science-fiction prenant place dans un univers à la Miyazaki (Le Château dans le Ciel).


Virtua Fighter, le RPG


Après The Old Man and the Peach Tree, l’équipe de l’AM#2 décide de se tourner vers un univers plus concret et surtout bien connu des fans de la marque : Virtua Fighter. Nous sommes alors en 1996. L’idée consiste à créer un RPG en utilisant les personnages du célèbre jeu de baston dont le héros est Akira.
« Dans ma vie, j’ai fait de nombreux jeux. Mais quand je discute, on me parle tout le temps de Virtua Fighter, comme si c’était mon œuvre la plus remarquable. J’en suis certes très fier mais pour être honnête, c’est un titre qui s’apparente à un genre particulièrement technique et qui demande énormément d’investissement pour pouvoir le maîtriser. C’est donc un jeu « difficile » à soumettre à monsieur tout le monde. Je voulais aussi que mon image ne soit pas associé uniquement à ce jeu, mais qu’on se souvienne de moi pour le message que je veux faire passer. Et pour faire passer un message d’amour, de courage, il faut un logiciel narratif, attractif, simple à prendre en main et accessible pour tous… Il fut question, un moment, de faire un RPG tiré de l’univers de Virtua Fighter. Comme le nom était connu dans le monde entier, on se servait de sa popularité, jouant ainsi la carte de la sécurité. »


Entièrement en 3D et doté d’une approche cinématographique, il ajoute (par rapport au prototype de The Old Man and the Peach Tree) la possibilité de combattre plusieurs individus à la fois, mais aussi des voix enregistrées pour donner plus de corps et de réalisme aux protagonistes de l’histoire. En agissant de la sorte, Yu Suzuki gagne un temps considérable : il exploite tous les mouvements du célèbre jeu de baston (Akira, Pai, Lau, Jacky, etc.) mais aussi le moteur 3D. A cette époque, le Japonais a une idée très précise de ce qu’il désire. Il se remémore son voyage en Chine, son apprentissage du Bajiquan et ses nombreuses visites de temples et lieux célèbres (Temple Shaolin, Suzhou, Shangai, La Cité Interdite, la Grande Muraille, Guilin, la Cave de Bodhidharma, la Forêt de Padoga…) . Mais son souvenir le plus fort n’est autre que sa rencontre avec Maître Wu :









     
« Ce grand maître avait bu trop de saké pour m’accueillir et son style Bajiquan s’est transformé en technique de l’homme ivre. Et c’est comme cela que tout a commencé. Pendant qu’il s’entraînait avec moi, il n’a pu stopper l’une de ses attaques à temps et je suis tombé la tête la première sur un sol en pierre, me blessant par la même occasion. Lorsque je m’en rappelle, je me dis que c’est un super souvenir ! »

Optimisation scénaristique



Ce périple chinois aura pour effet de clarifier bon nombre de ses envies. Le maître en arts martiaux bourré lui donnera ainsi l’idée de Shun dans Virtua Fighter 2. Pour Virtua Fighter RPG, Yu Suzuki conçoit un document basé sur ses souvenirs, où il est notamment question de l’histoire et de sa ligne directrice. Le héros, Akira (ce qui est amusant, c’est que dans Shenmue, le code du jeu révèle que l’ID du personnage est restée en « AKIR », forme diminuée de Akira) doit faire face à un destin qui bouscule ses émotions. D’abord, la tristesse avec la perte de son père, ensuite le départ vers la Chine et le sentiment de vengeance qui l’anime (l’antagoniste principal porte alors le nom de Randi et non Lan Di), puis le combat contre le meurtrier de son géniteur et enfin la victoire et un nouveau voyage avec ses amis. De ce document, Yu Suzuki en tire une suite orchestrale en quatre mouvements qui se répètent. Pour donner plus de volume à l’histoire, le créateur a fait appel à un scénariste à qui il a fait écouter le fameux morceau afin de lui donner plus d’inspiration. C’est à partir de ce moment précis que Yu Suzuki débute la véritable écriture des différents chapitres du jeu.

« Je craignais que seuls les développeurs du jeu qui étaient impliqués pouvaient avoir une nouvelle approche. J’ai donc fait appel à des scénaristes, des réalisateurs, des dramaturges et autres pour ce que j’ai nommé « Le développement sans frontières ». Chaque semaine, nous avions rendez-vous en dehors des studios. Après une longue bataille (autrement dit de longs brainstormings et autres réunions) entre les membres de l’équipe, nous avons complété le scénario en 11 chapitres. Nous avons alors créé 11 illustrations, une pour chaque chapitre du jeu. »




Pour donner un côté dramaturge à son titre, Yu Suzuki a opté pour une approche romanesque, afin de faire ressentir toutes les émotions du héros au joueur. Et chacun des 11 chapitres prend place dans différentes localités de Chine. Autant dire que Virtua Fighter RPG a créé un véritable socle pour le futur Project Berkley. C’est d’ailleurs Akira Yuki (en plus jeune), et non pas Ryo Hazuki, que l’on retrouve dans les prototypes Saturn. Encore une fois, même si ces prototypes, de l’aveu de Yu Suzuki, sont jouables et sommeillent quelque part chez SEGA au Japon, il ne s’agit que de prototypes, courts et destinés à jauger les performances de la Saturn. D’où la séquence de combat entre Ryu et Guizhang ou encore la scène de la biche de Shenmue II. Il n’existe aucun jeu complet Project Berkley ou Shenmue sur Saturn. Ce ne sont que des essais.


























En 1997, Yu Suzuki est impliqué dans le développement de la future console de SEGA. La Dreamcast, qui doit succéder à la Saturn, est beaucoup plus puissante et tournée vers les concepteurs de jeu. Fort logiquement, toute l’équipe décide d’abandonner le support 32 bits pour se focaliser sur la future machine qui est alors appelée « Next-gen Saturn ». Virtua Fighter RPG est abandonné à son tour, entraînant la naissance d’un titre inédit mais qui n’a pas encore de dénomination si ce n’est le nom de code Guppy (pendant longtemps, on a cru qu’il s’agissait d’un nom de code pour la Dreamcast, il n’en est rien). Découpé sur 45 heures, le gameplay brasse un grand nombre d’approches : des cinématiques, des combats, de la recherche et de l’exploration, de l’apprentissage de nouvelles techniques, de l’interaction entre les différents chapitres et même la présence de « donjons souterrains »












Guppy devient Berkley


En 1998, Yu Suzuki change le nom du jeu en Berkley et a pour objectif de présenter les deux premiers chapitres dans la première aventure. Seulement voilà, l’ambition de l’AM#2 est sans limite et le jeu grossit à vue d’oeil. Project Berkley devient Shenmue Chapter 1 : Yokosuka et chaque jeu ne contient plus qu’un seul et unique chapitre, le tout se matérialisant sous la forme d’une gigantesque killer app pour la Dreamcast. Devant l’ampleur du développement (qui réclame environ 30% de l’effectif total de l’AM#2), Yu Suzuki se voit obligé de redéfinir les bases du game design. C’est à ce moment-là qu’il imagine les concepts du FREE pour Full Reactive Eyes Entertainment, et des Quick Time Event (QTE) dont il puise l’inspiration du jeu de notre enfance, le SIMON.


« Au début, je pensais faire un RPG. Mais plus le temps passait, plus je me disais que ce genre ne proposait pas assez de libertés, qu’il fallait innover. J’ai donc cessé de classer mon projet ainsi. Un nouveau terme a finalement remplacé le mot RPG : le FREE (Full Reactive Eyes Entertainement). Pour moi, la vue est le plus sensible de nos 5 sens. Je voulais donc que par cette « liberté », nos yeux soient en totale immersion et attentifs à tout ce qui nous entoure. Le monde qui nous entoure s’étend au-delà de notre champ de vision, n’est-ce pas ? Par exemple, imaginons que vous vous trouvez sur un chemin bordé de maisons. Mais derrière ces habitations, il y a d’autres rues, des commerces. Des gens y vivent, y discutent. Et pourtant, on ne les voit pas ! Moi, je voulais proposer d’aller beaucoup plus loin que ça et franchir un tabou : l’inutile. C’est ça, la réalité : une vie en dehors de notre perception. »







En 1998, les équipes de SEGA tournent à plein régime pour réaliser Shenmue. A cette époque, le nombre d’employés qui travaillent sur le jeu de Yu Suzuki dépasse les 200 têtes. Parmi ceux qui triment le plus, il y a les programmeurs qui mettent en place de multiples algorithmes de compression afin de faire tenir le jeu sur 3 GD-ROM (sans ça, il aurait fallu 50 ou 60 CD ROM pour faire tenir Shenmue) mais aussi les développeurs qui ont été appelés à la rescousse pour le « contrôle de la vie des PNJ ». Dans une interview accordée à Retro Playing, Yu Suzuki révèle que ce concept a été ajouté par la suite, car il ne faisait pas partie des étapes du développement.
« Chaque personnage menait sa propre vie. Tout ça n’était pas prévu et cela a été fait et intégré entre temps. Ce fut une tâche assez lourde pour le personnel qui travaillait sur le jeu. Si j’additionne les NPC (ou PNJ) de Shenmue et Shenmue II, je pense qu’il y en a plus de 450. Nous avons créé un background pour chaque personnage : nom, âge, poids, taille, son/sa partenaire, lieu de résidence, etc. « 
Et chose assez dingue que le maître nous apprend : l’habitude des personnages évolue en fonction des jours en semaine ou du week-end. Autant dire que cet élément a été l’un des plus difficiles à intégrer dans Shenmue et on comprend bien pourquoi.


Un développement juste démentiel


Pour bien comprendre à quel point Shenmue était en avance sur son temps, nous allons faire une présentation des techniques mises en place pour pousser le réalisme à son maximum. A l’inverse des autres jeux, la création du jeu n’a pas débuté par des dizaines et des dizaines d’artworks. Même s’il y en a eu durant l’élaboration de Virtua Fighter RPG, la véritable inspiration de l’équipe est venue de la musique.
« Le développement du jeu a d’abord commencé par sa musique. Ensuite, une fois que j’ai enfin eu un thème qui me plaisait et correspondait à mon envie, je l’ai fait écouter à tout mon staff, aux directeurs de projet, aux scénaristes, sans rien leur dire. Ils connaissaient le concept général du projet mais rien n’était encore véritablement décidé. Je leur ai ensuite demandé à ce qu’ils fassent travailler librement leur inspiration uniquement avec cette musique. Enfin, on s’est tous échangé de nombreuses idées, en plus des miennes. Le monde de Shenmue s’est donc construit sur sa musique, sans commencer par des artworks comme c’est habituellement le cas dans les jeux vidéo. »





Pour mettre sur pied le monde de Shenmue, l’AM#2 fait appel à des techniques de malade. Toutes les animations sont réalisées en motion capture et l’équipe va même jusqu’à utiliser un gant électronique afin de reproduire fidèlement le mouvement des mains et des doigts.





Pour les combats, les chorégraphies sont ultra poussées, et le perfectionnisme de Yu Suzuki en devient presque maladif. Les instructions données aux acteurs sont ultra précises et il n’est pas facile de se plier aux exigences du créateur, qui n’hésite pas à donner de sa personne en montrant un à un tous les gestes à exécuter.









L’autre prouesse vient de la modélisation du personnage principal. Akira a laissé la place à un certain Ryo Hazuki et les premiers croquis ont été dessinés par Yu Suzuki himself :
« Pour obtenir une histoire qui me convienne, il me fallait un héros qui corresponde à mes attentes. J’ai donc tout d’abord dessiné des croquis de ce que j’attendais du personnage principal idéal. J’ai obtenu ce que je voulais, aussi bien de face que de profil. Mais le problème, c’est que le rendu en 3D ne correspondait pas du tout au modèle ! J’avais l’impression d’avoir une autre personne ! »



Pour contrer le problème, le Japonais va alors avoir une idée de génie : utiliser de l’argile pour reconstituer les visages des personnages principaux de l’histoire. Ces sculptures, réalisées par des professionnels, ont été ensuite scannées en 3D pour obtenir un rendu proche de la perfection. Avec une telle technique, les visages atteignent la bagatelle de 50 000 animations, si bien que le nombre de polygones a dû être revu à la baisse. Pour avoir une idée du rendu originel, il faut tout simplement lancer le Shenmue Passport et profiter de la modélisation ahurissante pour l’époque de Ryo et ses amis/ennemis.







Pour l’architecture, l’AM#2 a carrément développé un programme qui permet de structurer l’agencement des différentes bâtisses et pièces. Il suffisait d’y entrer des objets comme des tables, des chaises et autres pour que le logiciel s’organise et repositionne le tout, en faisant en sorte que le personnage puisse traverser la zone sans encombre. Dingue !

Pour terminer, le changement météorologique a demandé beaucoup de ressources à l’équipe de Yu Suzuki :
« Aujourd’hui, tout le monde sait le faire, mais à l’époque il s’agissait d’un vrai défi. Le système Magic Weather permet un contrôle programmatique de la météo et du temps. La luminosité évolue correctement en fonction de l’heure de la journée. Des algorithmes concernant le vent et la neige sont également générés. Nous avons utilisé les données météorologiques historiques de Yokosuka pendant une période de trois ans à partir de 1986, pour recréer la météo in-game du jeu. »

Parmi les autres éléments amusants, on retiendra que les personnages de Virtua Fighter Kids ont servi à l’élaboration de l’intelligence artificielle des PNJ (qui vaquent à leurs occupations selon le moment de la journée). C’est d’ailleurs ce même titre (tout comme Digital Dance Mix Namie Amuro) qui a servi pour la création des personnages polygonés de Virtua Fighter 3 sur Saturn (qui sera abandonné au profit de la version Dreamcast). Mais revenons à Shenmue, d’autant plus que l’anecdote relatée par Yu Suzuki est croustillante :
« On s’est rendus compte qu’il n’y avait plus aucun PNJ dans la zone des entrepôts ! Et on a mis du temps à trouver d’où venait le problème. En fait, tous les matins, les PNJ de la zone des entrepôts se rendaient au Convenience Store pour prendre leur petit déj, si bien que la zone des entrepôts était désertée alors que le magasin était bondé. Si bien que beaucoup de ces PNJ étaient bloqués et ne pouvaient plus sortir. Je me souviens qu’on a augmenté la taille de la porte automatique et poser une limite au taux d’occupation de la boutique. »


C’est en découvrant ce genre d’informations qu’on se rend compte de la difficulté d’un développement, et surtout de l’élaboration d’une intelligence artificielle (IA).

1999, le temps est compté


En 1999, Yu Suzuki a débuté son pire cauchemar (il déteste cette partie du développement) : le debbuging. Cette phase consiste à jouer au jeu et à le tester dans les moindres recoins pour éradiquer toute forme de bug. Le cycle a pris deux semaines complètes, qui furent éreintantes. Chaque jour, ce sont plus de 300 bugs qui étaient répertoriés pour être ensuite corrigés. Selon le créateur, une équipe se relayait pour travailler 24 heures sur 24, enregistrant des vidéos pour cibler tous les bugs. A la fin du développement, ce sont plus de 300 personnes qu’il fallait coordonner, ce qui fut un véritable calvaire, car personne n’avait l’expérience d’un tel projet. De nos jours, les développeurs utilisent des logiciels de gestion de projet, qui permettent de coordonner toutes les étapes de la création d’un jeu mais aussi l’interaction avec les différentes personnes et équipes. A la fin des années 90, c’était loin d’être le cas. Dans une interview réalisée en compagnie de Gregg Tavares, qui a travaillé pour SEGA Japon, voilà ce que ce développeur américain m’a avoué :
« Pour tout dire, ils (SEGA) n’utilisaient même pas de système de version (alpha, bêta, etc.). A la place, ils avaient un dossier partagé que tout le monde pouvait bidouiller à loisir. Si tu avais besoin de fusionner un élément, il fallait faire un fichier texte pour prévenir tout le monde. Tu le faisais à la main et tu supprimais l’ancien fichier. »
Dans ces conditions, on comprend mieux l’explication de Yu Suzuki :
« A cette époque, il n’y avait pas d’outils de gestion de projet, tel que Redmine. Donc, à la place, nous avons utilisé une feuille de commande qui n’était qu’une simple liste de mesures dans Excel. Parce que nous développions ou testions le jeu, le nombre de mesures à corriger n’a jamais diminué. Et pour information, il y en avait plus de 10 000 ! C’est flippant de se dire que nous avons géré ce projet essentiellement en distribuant des feuilles de papier. »

Shenmue est devenu un mythe pour tout ce qu’il représente. Un coût de 47 millions de dollars (Shenmue I & II compris), la fin de l’ère « constructeur » pour SEGA, une saga inachevée… et un jeu tout simplement exceptionnel, car en avance sur son temps et bouleversant tout ce qu’on connaissait jusqu’alors. Mais cela a été un développement très difficile (une donne à laquelle est habitué Yu Suzuki). Tak Hirai, le programmeurs système s’en souvient très bien :
« J’étais responsable de la gestion d’une équipe de 87 programmeurs. J’ai pris des décisions sur le comportement du programme d’ensemble. Diriger cette immense équipe a été un cauchemar, car parler à chacun individuellement pouvait prendre jusqu’a 14h30 par jour ! Il suffisait de parler à chaque programmeur 10 minutes… »
Shenmue, c’est tout ça. Ce sont des programmeurs qui se sont battus durant des mois pour obtenir le meilleur jeu du monde. L’équipe des programmeurs a d’ailleurs été scindée en deux, avec d’un côté les employés qui travaillaient sur le système de jeu, de l’autre ceux qui officiaient sur les routines de programmation dues aux évènements. Shenmue, c’est aussi l’abandon d’idées. A l’origine, Ryo devait débuter son périple en Chine (et oui !) et le vélo est venu naturellement en début de développement. Le test a même été effectué avec Ryo qui pédale en fonçant à travers une prairie. A la fin du développement, un programmeur a repris le concept pour l’étoffer et l’améliorer, mais le fait de se balader à vélo dans Yokosuka n’apportait rien de significatif. L’équipe a préféré supprimer cet élément. Tak Hirai avoue même qu’ils se sont amusés à exploiter différentes « features » inédites (et qu’il souhaitait garder comme Easter Eggs), telles que l’avance rapide et rembobinage du cycle jour/nuit ou encore la possibilité de porter un objet comme une maison et de le balancer.



L’espoir d’un Shenmue III (ou Shenmue 3) était infime mais les fans y ont toujours cru. Pourtant, lorsque l’annonce a été faite lors de la conférence Sony, on n’y croyait plus du tout. C’était comme un rêve qui se réalisait, j’ai même dû me pincer pour être certain qu’il s’agissait de la réalité ! En cette année 2015, Shenmue III est désormais une réalité : le développement va bientôt débuter (les offres d’emploi sont disponibles) et le kickstarter devrait, si tout va bien, atteindre environ les 5 millions de dollars récoltés. Ce qui en fait le dixième projet le plus backé de tous les temps sur la plateforme de financement participatif. Et le deuxième en jeu vidéo. Preuve que l’attente de 14 ans n’est pas restée vaine… même s’il faudra désormais être patient jusqu’à décembre 2017.





And now, the story goes on…

Sources :


3 Commentaires

  1. Je voulais regrouper un max d'infos et en faire un gros dossier récapitulatif. A l'heure où Shenmue 3 est sur le point de voir son Kickstarter atteindre la bagatelle de 5,5 millions de dollars récoltés, il n'est pas inintéressant :) (enfin je pense). Maintenant, il va falloir attendre fin 2017 pour connaître la suite des aventures de Ryo Hazuki ! Dire que c'est un rêve est un doux euphémisme, personne n'y croyait plus !

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