Le 27 mai dernier, Stunt Race FX fêtait son trentième anniversaire. Pour l'occasion, je repropose cet article écrit il y a quelques années et j'y ajoute mon numéro de Retro & Magic diffusé à l'époque sur Nolife. Bonne lecture et visionnage !
Sorti le 27 mai 1994 et quelques mois plus tard aux États-Unis (Juillet) et Europe (Octobre), Stunt Race FX est un titre qui n’a pas fait l’unanimité, mais que j’adore. Épaulé par le Super FX développé par Argonaut et Nintendo, il s’agit d’un jeu de course très amusant et se déroulant dans un univers coloré et rappelant par certains côtés la série des Motortoon sur PlayStation. Sa particularité ? À l’image du taxi du film « Qui veut la peau de Roger Rabbit ? » et, donc, de Motortoon, le jeu met en scène des véhicules munis d’yeux pouvant exprimer des émotions. C’est un soft dont les coulisses de création m’ont toujours intrigué et j’ai donc décidé de fouiller un peu pour vous proposer ce petit article.
Fruit de la collaboration entre Argonaut Software et Nintendo, Star Fox (Star Wing chez nous) est un succès et un tremplin pour permettre à la Super Nintendo d’entrevoir l’avenir avec sérénité. Forte de cette première expérience réussie, l’équipe du jeu se met à plancher sur de nouveaux projets et réfléchit à des concepts pouvant être adaptés en 3D sur la console 16-bits. Giles Goddard, l’un des jeunes transfuges d’Argonaut installés au Japon se souvient alors de l’un de ses coups de cœur de l’Amiga : Stunt Car Racer. Issue de la ludothèque du micro de Commodore, Stunt Car Racer est une création de Geoff Crammond (Formula One Grand Prix, Grand Prix 2, 3, etc.) proposant un affichage 3D remarquable, et surtout des modèles physiques assez redoutables pour l’époque.
Alors qu’il se trouve en Angleterre, Giles Goddard décide de créer un prototype reprenant le concept de Stunt Car Racer.
J’étais un grand fan de Stunt Car Racer sur Amiga et je trouvais la physique du véhicule parfaite, absolument parfaite. Je trouvais ça génial et j’ai donc voulu savoir comment ils avaient obtenu cette physique automobile. Donc, du temps que j’étais chez Argonaut, j’ai fait une sorte de prototype. Il était plutôt pas mal, mais il est resté en Angleterre une fois que nous sommes partis au Japon.
FX TRAX
Vient alors la collaboration avec Nintendo et le prototype va être peu-à-peu oublié dans les locaux d’Argonaut. Vous l’aurez compris, au moment de penser à un futur jeu exploitant le Super FX, l’intéressé va se souvenir de ce prototype de Stunt Car Racer et réaliser des tests techniques allant dans cette direction. Ce qui est amusant en regardant le jeu Amiga, c’est qu’on retrouve, dans l’esprit, ce que l’on pouvait voir à l’époque dans une œuvre comme Hard Drivin’, à savoir une 3D en vue subjective avec des dénivelés, des sauts, des virages prononcés, etc. C’est donc sur cette base que débute celui qui deviendra, au départ, FX Trax.
À l’époque, il est tout simplement question de créer un jeu à la Mario Kart, mais qui ne soit pas un Mario Kart. Ce qui intéresse Giles Goddard, c’est de mettre en place un programme qui propose un certain réalisme dans les réactions des véhicules. Le Britannique développe alors un prototype affichant un véhicule se déplaçant sur un parcours simple en 3D. L’ensemble tourne à environ 20 images par seconde et le proto est si convaincant que l’équipe se dit qu’il y a vraiment quelque chose à faire de cette idée.
UNE ANIMATION GÉLATINEUSE
Alors que le développement est officiellement lancé et que le Super FX est optimisé, le staff s’aperçoit que l’animation, autrement dit le framerate, peine à se stabiliser. Le nombre d’images par seconde change constamment et ça impacte la performance du jeu (techniquement, cela ralentit l’animation car la machine doit gérer des calculs supplémentaires). Pour obtenir un framerate stable, ils décident de développer le jeu en 20 Hz (20 images par seconde), mais les capacités de la Super Nintendo et du Super FX, font que les problèmes d’affichage résident. Dans une ultime tentative, ils passent alors en 13 Hz (13 images par seconde). C’est ce choix dicté par la technique de l’époque qui fait qu’on a parfois l’impression – surtout dans la version PAL – que le jeu se traîne (« lourd et gélatineux » comme le dit Giles Goddard). Cette impression est moins vivace en version NTSC, américaine ou japonaise.
Dans sa formule FX Trax, le jeu est plutôt intéressant et techniquement remarquable pour un jeu Super Nintendo, mais il peine à se démarquer de la concurrence et l’équipe va en avoir l’amène expérience lors du CES de l’année 1993. Alors que le titre est présenté, le public s’en désintéresse totalement. Peu avancé, le programme affiche une animation assez mollassonne et se veut beaucoup trop aseptisé pour une production Nintendo. Conscient qu’il manque quelque chose à leur bébé, Giles Goddard et ses collègues japonais vont alors avoir une idée géniale : prôner une approche cartoon pour les environnements, apporter de la couleur, énormément de couleur et surtout ajouter des yeux à chaque bolide ! Si ceux-ci ne font que cligner ou tournoyer, cela suffit pour donner un cachet visuel unique à FX Trax ! Et cartoon oblige, les voitures peuvent se déformer, ça ne pose plus aucun problème !
D’une certaine manière, je pense que c’est un peu par accident qu’ils ont trouvé les réactions des voitures. Je pense que c’est au moment où ils ont mis ces petits yeux qu’ils ont compris que ça donnait aux voitures un look, une sorte de sensation animale. Et de ce fait, ça ne dérangeait plus du tout si les véhicules se déformaient et mettaient une plombe à retrouver leur forme initiale.
Alors qu’il continue de développer le titre, Giles Goddard est tiraillé entre le souhait de rendre le jeu le plus fluide possible ou l’envie irrépressible d’en mettre plein la vue avec le Super FX.
EN METTRE PLEIN LA VUE
Il s’aperçoit que l’ajout d’animations en arrière-plan (des cerfs qui traversent la route, des gouttelettes d’eau dans les flaques et le tunnel aquatique…) ne posent aucun problème. C’est finalement autre chose qui va obliger l’équipe à diminuer la taille de fenêtre du gameplay : le nombre d’éléments de l’interface, les caméras et les différentes vues pouvant être affichées simultanément. On pourrait ainsi croire que cette relative lenteur est un problème, mais ça a été vu différemment par l’équipe de Nintendo. En effet, grâce à cette animation ralentie, les développeurs ont pu ajouter de nombreux éléments et effets, donnant une impression de dessin animé très réussie.
Pour cette histoire d’écran rétrécie, Giles Goddard rappelle que le staff en charge de Doom sur Super Nintendo a utilisé le même procédé. Cela permettait un affichage plus fluide. Au final, FX Trax est devenu Wild Trax pour son aspect « sauvage » et « animal » puis Stunt Race FX en occident, peut-être en référence à Stunt Car Racer. Conçu par une toute petite équipe de 5/6 personnes, le jeu a demandé pas mal de travail, notamment dans la création de ses différents tracés. À l’inverse de Star Fox, qui n’employait pas des zones ouvertes, mais plutôt une sorte de cylindre dans lesquels on faisait intervenir les ennemis à des moments précis, Stunt Race FX a demandé une grosse réflexion pour afficher des environnements assez larges dans lesquels il est possible de faire demi-tour. Néanmoins, sur Star Fox, tout devait être fait de zéro tandis qu’avec Stunt Race FX, la puce était finalisée, elle tournait à pleine vitesse et les développeurs n’ont pas eu à se battre avec les bugs. C’est ce qui explique le temps de développement relativement court pour aboutir à ce jeu que je trouve vraiment excellent.
Vidéo de l'émission Retro & Magic consacré à Stunt Race FX que j'ai écrit et capturé à l'époque :
Pour en terminer avec cet article, voilà quelques passages de l’interview donnée par Miyamoto et les membres de l’équipe dans le guide officiel.
Mr. Miyamoto : Le projet a commencé par une réflexion simple : pourquoi les jeux de course se déroulent tous sur des tracés plats ? On a alors pensé que ça serait amusant d’ajouter des dénivelés et des routes bosselés. En ce sens, nous avons réfléchi au type de véhicule adapté et nous avons opté pour une voiture, puis nous avons ajouté plein de petites choses amusantes. Mario Kart utilise des concepts qui ne sont pas utilisables avec de vraies voitures, comme la stratégie à adopter en pleine course.
Mr. Tanabe : Il y a deux cols de montagne dans le jeu, mais nous avons conçu une dizaine de parcours. Mr. Miyamoto avait une idée de la représentation à donner au décor. Il a alors dessiné des tracés et conçu divers éléments de la piste, mais quand il a essayé de les intégrer aux courses, ça ne fonctionnait pas. Au final, il s’est limité à deux tracés. Nous voulions qu’il y ait un sentiment de tension, comme lorsque vous traversez un col de montagne et que vous avez le vide à perte de vue avec la peur de tomber au fond de la vallée. Ou lorsque vous avez souffert pour atteindre un col de montagne et que vous êtes sur le point de dévaler l’autre versant. Mais en ajoutant ces éléments typiques des cols montagneux, on s’est aperçu que ça rendait le parcours trop difficile. En revanche, si vous faites beaucoup de lignes droites parce que vous voulez qu’elle ait une conduite souple, elle perdra de son caractère une fois arrivé au sommet. On était tiraillé entre les deux approches. Nous avons donc fait de nombreuses tentatives, par exemple en déplaçant délibérément l’arrière-plan pour donner l’impression que le véhicule grimpait une route de montagne.
Mr. Tanabe : Durant le développement, nous avons modifié un parcours, Night Owl, avait été fait avec une orientation vers la droite. On l’a tourné vers la gauche.
Mr. Miyamoto : J’ai apporté un banjo de chez moi et j’ai expliqué à Mr. Amaya, le compositeur, ce qu’était cet instrument. Je lui ai ensuite montré une partition et j’ai fait plein de demandes (Rires).