Une fois n’est pas coutume, on quitte le monde de SEGA pour nous intéresser à celui de la PlayStation. Même si on me colle l’étiquette du fan de la Saturn et de la Dreamcast, ce qu’il n’y rien d’étonnant en tant qu’auteur de Génération SEGA, j’ai un esprit d’ouverture qui va bien au-delà de la sphère du hérisson bleu. J’aime toutes les consoles, avec leurs qualités et les défauts, et s’il y a une machine qui m’a fait vivre des moments d’anthologie, c’est la PlayStation. Le monolithe gris de Sony a terrassé la concurrence en son temps et l’éclectisme de son catalogue était assurément l’une de ses grandes forces. Après Evolution, le premier RPG de la Dreamcast, intéressons-nous à Jumping Flash!, un classique de la console 32-bits de Sony.
Produit par Tetsuji Yamamoto et conçu par Koji Tada, Jumping Flash! est un jeu de la première génération des œuvres PlayStation. Sorti au Japon le 28 avril 1995, il distille une ambiance vraiment unique, tant visuelle que sonore. Dans ce titre signé Exact (Excellent Application Create Team) et Ultra (ça ne s’invente pas), le joueur incarne Robbit, un lapin robotique qui a la lourde tâche de vaincre Baron Aloha, un scientifique complètement barré qui a décidé d’exploiter la planète Crater. L’énergumène a en effet décidé d’enlever des blocs entiers de ce monde lointain pour y installer des stations balnéaires. Pour éviter ce fléau, le léporidé mécanique doit arpenter dix-huit niveaux pour retrouver les nacelles et réinstaller les zones volées par l’affreux.
DE LA RAIE MANTA AU LAPIN
Tetsuji Yamamoto, le producteur du jeu, a été interviewé par le blog PlayStation officiel dans le cadre de la sortie de la Sony PlayStation Classic. Il révèle : « Le début du projet remonte à une époque où la PlayStation et même SCE (Sony Computer Entertainment) n’existaient pas. J’ai eu l’occasion de me présenter à Norio Oga, alors président de Sony, et de discuter de la possible arrivée de l’entreprise dans l’industrie du jeu vidéo. C’est à cette occasion qu’on nous a demandé de préparer une animation vidéo dévoilant ce que nous pouvions faire en matière de 3D, cette nouvelle forme d’expression appelée polygones. » La suite de l’entretien est complètement folle puisque l’intéressé explique qu’il a conçu la démo d’une raie manta en raison de l’amour de Norio Oga pour la plongée sous-marine. Et là, tous les fans de la PlayStation vont rebondir sur cette information en repensant à l’indispensable Demo 1 qui accompagnait la machine de Sony lors de son lancement. Si une démo de raie manta est intégrée aux côtés du T-Rex en 3D, ce n’est pas un hasard et il faut avouer que c’est rigolo de se dire qu’elle fait référence à l’un des hobbies de l’ancien boss de Sony. Yamamoto révèle également que Kazunori Yamauchi, futur créateur de Gran Turismo, a réalisé une démo de voiture. Comme c’est étonnant !
UNE INSPIRATION DU MAÎTRE TEZUKA ?
Revenons maintenant à Jumping Flash! « J’ai rencontré des spécialistes qui étaient impliqués dans la production de cinématiques en images de synthèse, mais aussi Yukito Morikawa de l’entreprise Ultra. », raconte Tetsuji Yamamoto. « Au cours de nos discussions, nous en sommes venus à parler de l’œuvre d’Osamu Tezuka appelée Jumping. » Sorti très tardivement en France (2002), Jumping – Le Saut – est un court-métrage de six minutes qui ne contient pas moins de 4 000 celluloïds. La particularité du dessin animé réside dans son action qui est entièrement montrée depuis la vue du personnage principal. Cette vue subjective est d’autant plus étonnante que le déplacement du protagoniste se limite à des bonds de plus en plus vertigineux. La réalisation, extraordinaire, permet d’apprécier une animation assez incroyable et on devine la difficulté de l’auteur au moment de dessiner le story-board.
Tetsuji Yamamoto poursuit : « Nous avons développé le concept en nous inspirant de ce film et on a conçu une vidéo de présentation (NLDR : au nom de Spring Man) pour Mr. Oga. Voici les visuels que nous avons créés à l’époque. » Le patron de Sony est convaincu et donne son accord pour que Yamamoto et ses collègues poursuivent leur réflexion. Ces derniers s’aperçoivent que les jeux qui impliquent le déplacement du joueur dans un espace 3D se résument à du tir ou de la science-fiction assez sombre. Par conséquent, beaucoup d’aventures numériques n’attirent que les garçons et les concepteurs veulent changer cette habitude. Yamamoto-san confie : « Nous avons contacté Kazuma Shirasaki, l’un des illustrateurs des personnages de l’émission Ugo Ugo Ugo Ruga (NDR : un programme pour enfants culte au Japon). J’ai pensé que ses couleurs légèrement surréalistes pouvaient séduire les femmes. »
DU DUO AU DUEL
Après avoir tâtonné, Sony décide de lancer la PlayStation et Tetsuji Yamamoto présente alors la vidéo de présentation (celle présentée à Oga) à un éditeur de logiciels de Niigata appelé Exact. Ce qui est amusant, c’est qu’il s’agissait à l’origine d’un magasin de PC, mais le gérant a décidé de réunir des créateurs dans l’arrière-boutique pour concevoir des jeux vidéo sur les micros japonais. Afin de réaliser le futur jeu sur PlayStation, Tetsuji Yamamoto se retrouve alors à gérer deux entités (Exact & Ultra) qui ne sont, au départ, pas du tout sur la même longueur d’ondes. La raison ? L’une des entreprises provient du monde de la télévision et du divertissement tandis que l’autre a un focus purement gamer. « Pour moi, il n’était pas question de faire un jeu qui soit similaire à d’autres. C’est dans ce but que je me suis associé à Exact et Ultra, mais ce fut très difficile. », concède l’interlocuteur.
Après avoir été une simple démo appelée Spring Man (elle fera partie des démos technologiques présentées aux développeurs et journalistes), le véritable projet de jeu démarre, avec une envie débordante. Passionnés et motivés comme jamais, la petite équipe se jette corps et âme dans le travail. Les staffs d’Exact et Ultra se partagent les différentes tâches. Les employés d’Exact développent le moteur du jeu (qui sera réutilisé dans l’adaptation de Ghost in the Shell en 1997) ainsi que toutes les mécaniques de gameplay tandis que ceux d’Ultra se focalisent sur les scènes cinématiques en 3D, les personnages et l’histoire générale. La musique, quant à elle, est assurée par le compositeur japonais Takeo Miratsu, qui disparaîtra à seulement 46 ans en 2006.
Ce qui est fort avec Jumping Flash!, c’est que le jeu arbore une 3D de la première génération, mais son concept et son ambiance font qu’on s’amuse toujours autant trois décennies plus tard. Le jeu a un je-ne-sais-quoi de très accrocheur et les développeurs ont eu d’excellentes idées pour éviter que le joueur ne s’emmêle les pinceaux. Par exemple, lorsqu’on effectue un bond vertigineux (le personnage peut effectuer trois bonds successifs) en retombant vers le sol, une ombre s’affiche sous le lapin pour permettre au joueur de se repérer dans l’espace et assurer son atterrissage. C’est vraiment un jeu super mignon qui est à même de ravir petits et grands. En 1996, un magazine comme Next Generation l’a ainsi positionné à la 86ème place des meilleurs jeux de tous les temps et il est aujourd’hui considéré (y compris dans le Guinness Book) comme le tout premier jeu de plateforme à être intégralement en 3D. Inspiré de Jumping d’Osamu Tezuka, mais aussi du jeu Geograph Seal (on reconnaît les mécaniques d’Exact dans ce titre micro X68000), Jumping Flash! est une œuvre de son temps, mais qui démontre une nouvelle fois l’incroyable ingéniosité des studios à une époque où il restait tout à faire en matière de 3D.
Sources :
- Blog officiel PlayStation
- Recherches multiples dans des magazines français, américains et japonais