Il y a quelques jours, j’ai choisi de relancer Evolution sur Dreamcast. Premier jeu de rôle de la console, il arbore un look cartoon qui a plutôt bien vieilli ainsi que des personnages attachants. Bien que très classique dans son déroulement, il a réussi à m’embarquer même si son amour du farming a plutôt tendance à lasser après quelques heures. J’ai donc décidé d’y revenir par petite touche et c’est ainsi que j’ai pu découvrir l’histoire – là encore très classique, mais agréable – de Mag et Linear. Bien que l’atmosphère soit différente, cela m’a rappelé mes longues heures passées sur Mystaria à l’époque de la Saturn. Alors que le troisième boss fait de la résistance, j’ai décidé de le laisser reposer pour chercher quelques informations sur ce titre que beaucoup ont oublié, même s’il est ressorti dans une version légèrement allégée (bien que plus belle) sur Gamecube.
En allant sur le site officiel (resté en ligne), on peut découvrir un déroulé du développement s’étalant sur environ deux ans. Première surprise, c’est sous la forme d’un jeu de rôle destiné à la Saturn qu’Evolution a vu le jour à l’automne 1996. À l’époque, il n’était pas question d’explorateurs, mais plutôt d’un monde médiéval avec de la sorcellerie et des combats à l’épée assez réalistes. La raison : une partie de l’équipe de Sting travaille sur Baroque sur Saturn et veut changer d’univers. Malheureusement, la direction de Sting n’est pas convaincue et le projet est rejeté sous cette première forme en février 1997. Les concepteurs se remettent alors au travail et développent pas moins de six concepts : une histoire de ninja dans un monde de sorciers, un jeu de science-fiction animé à la manière d’un anime rétro se déroulant dans l’espace, un jeu de rôle opposant des dieux, l’histoire d’un futur roi découvrant le monde, la fuite éperdue d’un frère et de sa sœur dans un univers ténébreux et fantastique et, enfin, la quête d’explorateurs qui combattent avec des technologies de type mécha. Vous l’aurez compris, c’est cette dernière proposition qui est validée par Sting.
Le jeu de l’ESPérance
Durant les premières semaines de l’année 1997, les artistes travaillent essentiellement à la conception des différents personnages. Ces derniers sont assez jeunes, puisque le plus âgé, celui qui deviendra Gre, n’est âgé que d’’une quarantaine d’années (il est plus vieux dans la version finale). En février 1997, il est déjà question d’une jeune femme aux pouvoirs mystérieux appelée Pandora. Mag, quant à lui, est le premier protagoniste à être finalisé. Il est fougueux du haut de ses treize ans (qui deviendront seize). Selon Sting, il a été envisagé, à un moment, de se faire épauler par une agence d’artistes freelance, mais pour des raisons de coûts et le souhait de mettre l’entreprise en avant, tout a été fait en interne.
Au premier trimestre 1997, une partie des personnages principaux est finalisée, si bien que Sting commence à démarcher les éditeurs, dont un petit nouveau, ESP, qui commence à faire parler de lui en raison d’un futur grand succès du jeu de rôle : Grandia. Interrogé dans le cadre d’une interview pour le canard japonais Dreamcast Magazine, Yoichi Miyaji (cofondateur de Game Arts) explique : « Sting a fait le premier pas. Ils sont venus nous montrer les personnages du jeu et on s’est dit que nous allions le faire. Certes, ils n’étaient qu’au stade de la planification et ils n’avaient aucun écran de jeu à montrer, mais nous savions que Sting avait cette capacité pour élaborer des mondes et des personnages intéressants. » Le contrat signé, Sting poursuit le développement, mais reçoit désormais le soutien (pour le graphisme et la conception générale) du studio Neverland à l’origine de Chaos Seed sur Saturn.
Affiner la vision du projet
Dans un premier temps, Sting élabore de très nombreux personnages secondaires, dont une sorte de vieil Indiana Jones et un ennemi un peu louche. Mais très vite, les concepteurs voient qu’ils sont en train de se disperser et décident de revenir à l’essentiel en se limitant à quelques amis pour le héros principal. Alors que le personnage de Pepper émerge, le staff commence à créer les premiers éléments de la petite ville du jeu. Au début de l’année 1998, le monde d’Evolution prend forme avec un ton cartoon et des designs rappelant le cadre historique du jeu, à savoir les années 30. Les graphistes se permettent tout de même quelques fantaisies futuristes pour insuffler un certain dynamisme artistique. En avril 1997, l’équipe est ravie de faire tourner un prototype très convaincant sur… Saturn. Les graphismes sont en 2D et s’affichent sous forme d’images de synthèse (aussi bien pour les personnages que les environnements), mais cela fonctionne !
En juin 1997, le projet Baroque prend du retard et une partie du staff d’Evolution est appelé en renfort. Certains membres du futur RPG Dreamcast sont obligés d’endosser plusieurs casquettes (graphismes, level design, combat…). En juillet 1997, le prototype – toujours sur Saturn – affiche convenablement les combats. Il n’y a à ce moment précis qu’un nombre très limité d’éléments en 3D. Le scénario, quant à lui, s’affine mais les développeurs regrettent l’abandon de certains évènements et personnages. Le temps est compté et Sting se voit dans l’obligation de trancher dans le vif en écartant des idées. Entre temps, le scénariste se blesse dans un accident (avec convalescence de près de trois mois), ce qui impacte certains évènements de l’histoire. En voyant leur collègue amoché (il parvient à venir travailler, mais il est diminué), ils remanient certains pans du récit. De façon officieuse, ils agissent aussi pour retrouver un certain équilibre car le scénariste a eu tendance à se disperser en imaginant plein de personnages féminins.
Le premier jeu de rôle de la Dreamcast
En 1998, les choses s’accélèrent. Les spécifications techniques de la Dreamcast sont actées et les kits de développement arrivent chez Sting qui se lance dans la production du jeu pour la nouvelle machine de SEGA. Prenant la forme d’un RPG assez classique (combats au tour par tour dans des donjons fermés et générés aléatoirement), Evolution se dessine peu à peu comme le premier jeu de rôle à débarquer sur le matériel de nouvelle génération. Pour Sting, le défi est de taille, mais l’équipe peut compter sur l’appui du studio Neverland et l’expérience de Yoichi Miyagi. Ce dernier se montre d’ailleurs enthousiaste au moment de répondre au magazine Dreamcast officiel japonais. « De l'extérieur, Evolution donne une impression similaire à Grandia. Le concept est un jeu de rôle qui peut être joué « par sections » d'environ une heure par jour, comme Wizardry », précise-t-il. « Evolution comporte six donjons principaux et les combats sont difficiles. Pour ce jeu, nous avons volontairement mis l’accent sur le gain d’expérience et la collecte d’objets. Nous pensons que les gens apprécieront. » Yoichi Miyagi complète : « L'avantage d'Evolution, c'est que l'on peut apprécier son contenu à l'infini. Le plus intéressant, c'est qu'il remet en question les règles des RPG, qui sont devenus de plus en plus linéaires. La première fois que je l'ai vu, j'étais tellement excité. Le projet était à l'origine de créer un bon RPG, pour que les gens soient satisfaits d’acheter la Dreamcast et y jouer à plusieurs. Si l’on regarde les scènes de combat de ce jeu ou d’autres séquences, on se rend compte du potentiel élevé de la console. »
Vous en conviendrez, il est inutile de comparer Evolution avec les jeux de rôle de ces dernières années. En matière de dungeon-RPG, on trouve bien plus complet et efficace, mais ça serait mentir que de dire qu’il ne s’agit pas d’un bon petit jeu. J’étais d’ailleurs content quand j’ai appris qu’il sortait chez nous sous la houlette d’Ubisoft. Oui, il est répétitif et il peut se montrer terriblement frustrant tant il impose de refaire les mêmes donjons à plusieurs reprises (sans parler de son inventaire qui limite les objets), mais j’aime bien son univers, les personnages sont attachants et il a pour lui une ambiance vraiment accrocheuse, avec de jolies musiques. Moi qui aime les thèmes atmosphériques, je suis servi ! On passera rapidement sur le scénario qui manque de surprises. Par curiosité, j’ai lancé l’adaptation Gamecube, mais ce que l’on gagne en graphismes (plus fins et détaillés), on le perd en contenu et la caméra est à mon sens beaucoup rapprochée, sans parler de certains angles de vues vraiment ratés. Vous me direz, cela fait bien longtemps que plus personne ne parle d’Evolution, mais c’est aussi ça l’intérêt de ce blog. D'ailleurs, j'ai l'intention de me pencher sur le second épisode, mais aussi la version Neo Geo Pocket.